Il y a 32 ans, une des figures les plus marquantes de la Formule 1 disparaissait aux cours d’une séance de qualification anodine à Zolder, en Belgique. Ce pilote, c’est Gilles Villeneuve. Si son nom apparaît peu dans les annales de la discipline, il rime pourtant avec une vision du sport automobile unique.
« Le plus rapide de tous ». Cette phrase revient fréquemment dans la bouche des plus grands champions qui ont affronté Gilles Villeneuve. Des propos panégyriques qui permettent de jauger la qualité du pilote canadien. Son palmarès ne fut hélas jamais à la hauteur de sa popularité auprès du public, séduit par sa philosophie de vie franche et passionnée. C’est pourtant celle-ci qui lui fera perdre la vie prématurément.
L’intrépidité comme seul sésame
C’est sur les routes enlaçant Saint-Jean-sur-Richelieu, sa ville natale québécoise, que Gilles Villeneuve a développé son goût du pilotage. Il était d’ailleurs connu de la police locale pour sa manière ahurissante de prendre ses virages. Dès son plus jeune âge, il se fait la main avec la Pontiac de son père, qu’il finit par envoyer dans un pylône. Ironiquement, c’est ce type d’édifice qu’il plante le long des routes pour pouvoir s’offrir à 21 ans, une édition limitée « Boss » de la Ford Mustang. Avant cela, il a eu le temps de détruire sa première voiture personnelle, une MGA offerte par son père, guère rancunier. Mais c’est à bord d’un ski-doo – scooter des neiges très en vogue en Amérique du Nord – qu’il perfectionne sa technique et son amour du risque. Il s’y distingue brillamment jusqu’à devenir champion des Etats-Unis. Parallèlement, il s’initie à la Formule Ford puis enchaîne rapidement avec la Formule Atlantic. Il progresse très vite dans cette discipline qui n’a toutefois pas le même prestige que la Formule 3 européenne, autoroute dorée pour accéder à la Formule 1.

James Hunt, champion du monde 1976, en discussion avec Gilles Villeneuve pour son premier grand prix de Formule 1 avec McLaren.
Il doit dès lors attendre 1976 pour prendre une nouvelle dimension. Soutenu financièrement par le publicitaire Gilles Parent, touché par sa franchise et sa détermination, il est amené à participer au grand prix des Trois Rivières. C’est le moment phare de la saison de Formule Atlantic. En effet, de nombreuses pointures issues de la Formule 1 sont conviées à cet événement. Il ne manque pas de s’y faire remarquer et parvient même à dominer James Hunt, champion du monde en titre avec McLaren. Beau joueur, ce dernier le recommande à son écurie dès son retour en Grande-Bretagne.
Rendez-vous manqué avec McLaren et débuts difficiles avec Ferrari
L’année suivante, Gilles Villeneuve participe à son premier grand prix de Formule 1 à Silverstone, à bord d’une McLaren M23. Si celle-ci a permis à James Hunt de rafler la couronne mondiale l’année précédente, elle apparaît complètement obsolète à l’aune de l’année 1977. Il parvient néanmoins à faire parler sa vitesse et termine à la onzième place. Teddy Mayer, le directeur de l’écurie, lui préférera néanmoins Patrick Tambay pour la saison 1978. Beaucoup argueront alors que l’aristocratique directeur de l’écurie britannique avait plus d’accointances avec le français qui avait emprunté un chemin plus conventionnel en passant par la filière Elf, la Formule Renault et la F2. Gilles Villeneuve vit mal ce revers.
Sa déception est toutefois de courte durée. Enzo Ferrari en personne le contacte quelques jours plus tard et lui manifeste son désir de le voir évoluer au volant d’un de ses bolides rouges. Niki Lauda vient tout juste de claquer la porte de l’écurie transalpine. La carrière en Formule 1 du canadien est lancée.
Paroxysme et frustration en 1979
Ses débuts avec Ferrari sont compliqués. Le jeune loup affamé commet beaucoup d’erreurs et manifeste une impatience préjudiciable. A tel point qu’on en vient à le surnommer « Air Canada » pour mettre en avant sa propension à envoyer sa monoplace dans le décor.

Japon, 1977 : Gilles Villeneuve à son époque « Air Canada », renverse sa McLaren après avoir heurté la Tyrell P34 à six roues de Ronnie Peterson.
Durant sa première année, il apprend dans l’ombre de son expérimenté coéquipier argentin Carlos Reutemann. En 1979, il subit également la loi de son partenaire et ami, le sud-africain Jody Scheckter, plus régulier. Gilles Villeneuve termine néanmoins deuxième du championnat. Ce sera sa meilleure performance en Formule 1.
Si le sacre lui a échappé, c’est pourtant cette année-là qu’il entre dans la légende grâce à ses nombreux coups d’éclats. Lors du grand prix de Zandvoort, aux Pays-Bas, il boucle un tour sur trois roues, la faute à une crevaison lente. A son grand désarroi, il ne peut repartir une fois rentré au stand, mais sa ténacité force le respect. Puis, un beau jour de juillet, sur le tracé de Dijon-Prénois, il offre en compagnie de son ami René Arnoux, l’un des plus intenses duels de l’histoire de la Formule 1.Un spectacle ahurissant enjolivé par un public bourguignon en liesse. Dépassements dantesques, roues contre roues, trajectoires folles ; pendant ces cinq derniers tours du grand prix de France, le monde s’arrête autour des deux casse-cous. La toute première victoire de Jean-Pierre Jabouille, de Renault et d’un moteur turbo en Formule 1 passe même au second plan.
Ces coups de folie passent toutefois mal auprès de pilotes rigoristes tels qu’Emerson Fittipaldi ou Niki Lauda. Pour autant, il garde la confiance d’Enzo Ferrari qui voit un lui, une réminiscence de Tazio Nuvolari, mythique pilote du début du siècle dernier. Ce n’est pas pour rien qu’on dit de Villeneuve qu’il fut le pilote préféré du maestro de la firme au cheval cabré.
L’année 80 est décevante pour Gilles et plus globalement pour la Scuderia. La faute à une désastreuse Ferrari 312 T5. Toutefois, le développement d’un V6 turbo en remplacement du vénérable 12 cylindres à plat, maintient l’enthousiasme au sein de l’écurie. C’est ainsi qu’en 1981, la Ferrari 126 C fait son apparition. Si ses performances sont incontestables, le puissant souffle de ses 580 chevaux la rend indomptable. Le début de saison est compliqué pour l’équipe italienne. Gilles Villeneuve, à la différence de son nouvel équipier Didier Pironi, parvient néanmoins à prendre en main son bolide et arrache deux magnifiques victoires. Une sur l’exigeant circuit de Monaco. Une autre, épique, à Jarama, en Espagne. Ce jour-là, il monte sur la première marche du podium au prix d’un finish époustouflant où les cinq premiers concurrents se tiennent sur une grosse seconde. Enfin, comment ne pas évoquer sa course héroïque chez lui à Montréal, où il accroche une troisième place alors que sa Ferrari a perdu son aileron avant. Il ne retient toutefois pas la leçon de la saison 1979 et continue de courir de manière déraisonnée. Tant est si bien qu’il termine l’exercice à une insatisfaisante 7ème place.
Délitement en 1982
Si son entente avec Pironi est excellente ; ils se lancent régulièrement dans des courses effrénées à bord de leur Ferrari 308 respectives pour rallier les locaux Ferrari, ce lien va brutalement se briser lors du grand prix de Saint-Marin 1982.
Ce jour-là, les deux pilotes mènent la danse. Villeneuve se dirige tout droit vers une nouvelle victoire. Le stand de la firme modénaise indique aux pilotes de gérer le résultat. Or, au dernier moment, Didier Pironi attaque son coéquipier et s’octroie la tête de la course. Décontenancé par un tel surgissement, Gilles Villeneuve ne parvient pas à répondre à son adversaire du jour et termine deuxième. Le divorce entre les deux hommes est consommé.
Le canadien entend prendre sa revanche lors du grand prix qui suit à Zolder, en Belgique. Les qualifications ne sont pas vraiment concluantes pour les pilotes Ferrari. Didier Pironi réalise le 6ème temps, Villeneuve le 8ème. Contrarié d’être une nouvelle fois derrière son coéquipier, « l’acrobate » comme le surnommait amicalement René Arnoux, se lance dans un dernier tour qualificatif désespéré, avec des pneus usés. Ne parvenant à améliorer son temps, il se résigne à rejoindre les stands, mais ne réduit pas son allure pour autant. Une mésentente avec l’allemand Jochen Mass, son ancien équipier chez McLaren, lui fait alors faire une embardée dramatique. Ejecté de sa Ferrari, le canadien ne survit pas à cet accident. Son engagement total ainsi que sa rancoeur vis-à-vis des événements d’Imola auront finalement eu raison de lui.
- Gilles Villeneuve en pleine réflexion d’avant-course. A son poignet, un chronographe Tag Heuer à quartz.
- Gilles Villeneuve circulant à moto dans les paddocks. Au premier plan, son fils Jacques, qui remportera le titre mondial quinze après sa disparition.
Une personnalité atypique du paddock
Si sa carrière n’a pas été à la mesure de son talent, Gilles Villeneuve a malgré tout eu le temps d’apporter un véritable vent de fraîcheur sur les circuit de Formule 1. Un particularisme observable jusque dans son mode de vie. Nomade, il baladait toute sa petite famille – sa femme Joann, sa fille Mélanie et son fils Jacques, champion du monde en 1997 – partout à travers le monde, dans un mobil-home. Sa simplicité lui conférait également une proximité avec le public qui dénotait des autres pilotes, réputés plus distants. En ce sens, Gaston Parent relate une anecdote intéressante. Un jour de l’année 1980, Jody Scheckter s’arrête dans une station service de Fiorano pour faire le plein de sa Ferrari.Le pompiste, voyant le sud-africain, ne bronche pas. Mais en scrutant davantage, il reconnaît à sa droite Gilles Villeneuve. Il se met alors à crier et une meute d’aficionados se rue sur le pilote canadien. Piqué au vif, le coéquipier et ami du canadien s’écriera « bande d’idiots, c’est moi le champion du monde, pas lui ! »
Concernant son ardeur au volant, celle-ci ne se limitait pas qu’à l’asphalte des circuits. Villeneuve était réputé pour éreinter ses Ferrari de service. Scheckter, toujours lui, se plait à rappeler les fois où son coéquipier faisait valser son imposante Ferrari 400 dans les routes de campagnes menant à Maranello. Une soif de sensations qu’il assouvissait également en mer, où il confrontait avec une jouissance inconsciente son Abbate de 2×700 chevaux à la houle méditerranéenne. Mais aussi dans les airs. Il avait notamment un faible pour les hélicoptères. A un point tel qu’il en vint même à hypothéquer sa villa monégasque pour acquérir un fastueux Agusta 109A.
C’est cette engagement inébranlable, ce lien viscéral avec le danger qui, à défaut de titres, ont fait entrer Gilles Villeneuve au panthéon du sport automobile. Et comme l’a si bien rappelé Frank Williams au terme de la saison 1979 : « Gilles a fait davantage pour la gloire de la F1 cette saison que tous les autres pilotes réunis. »





Un sacré fêlé ce pilote ! J’allais dire triste fin mais en même temps, après lecture de ton article, il a quand même tout fait pendant sa vie pour en arriver là ! Grâce à toi j’ai appris un nouveau mot, je te laisse deviner lequel…
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