Ligue des Champions 2014, la finale d’une seule ville

Neckarstadion, Stuttgart 1959 : Di Stéfano, Alonso, Domínguez, Gento, Santamaría et Puskás fêtent leur victoire sur le Stade de Reims en finale de Ligue des Champions.

Stuttgart, Neckarstadion 1959 : Di Stéfano, Alonso, Domínguez, Gento, Santamaría et Puskás fêtent leur victoire contre le Stade de Reims en finale de Ligue des Champions.

Madrid est en pleine ébullition. C’est la première ville à voir deux de ses clubs s’affronter au plus haut niveau du football européen. Ce soir, l’Estadio de la Luz de Lisbonne est le théâtre de la 59ème finale de la Ligue des Champions qui oppose le Real à l’Atlético. Une confrontation à la saveur particulière tant ces deux rivaux historiques, qui cristallisent les disparités sociales de la capitale espagnole, ont rendez-vous avec l’Histoire.

Plus qu’une simple rivalité, un antagonisme social et politique ?

Le Real et l’Atlético ont vu le jour au tout début du XXème siècle. Le premier a été créé en 1902 sous le nom de Madrid Football Club, par des étudiants d’Oxford et de Cambridge en échange à Madrid. Le club doit sa dénomination actuelle au roi Alphonse XIII qui, passionné de football, consentit à ajouter le terme Real – pour « royal » – en 1920. Un adoubement qui lance les hostilités. Car de son côté, l’Athletic Club de Madrid, également créé par des étudiants en 1903, n’a pas vraiment les mêmes origines. Ces derniers étaient basques et voulaient faire de cette nouvelle équipe la petite soeur de l’Athletic Bilbao constituée cinq ans auparavant. Mais cette filiation avec le Pays Basque n’a pas vraiment été du goût du général Franco qui impose en 1947 l’appellation contemporaine du club, plus hispanophone.

En dehors de tout critère d’origine, la simple implantation géographique des deux clubs scelle leur opposition. Le stade Chamartin, devenu Santiago Bernabéu en 1955, surgit en effet au milieu des beaux quartiers du nord de la capitale quand de son côté, le Vicente Calderon se retrouve borné à la périphérie sud de la ville, sur la rive est du Manzaneres. L’Atlético se veut alors le symbole du Madrid populaire. Ce que le surnom des supporters, les colchoneros, met en exergue. Ce terme qui signifie littéralement « matelassiers », renvoie aux maillots du club qui étaient confectionnés à partir du même tissu rayé rouge et blanc que les matelas, en vue de réaliser des économies. On est bien loin des paillettes du voisin merengue.

Si la dualité sociale est avérée, il convient de l’étendre avec prudence à l’histoire politique espagnole. Désigner le Real comme franquiste et l’Atlético comme républicain serait trop manichéen.

 

En effet, malgré le lien historique de l’Atlético avec la cause basque, le club n’a jamais été un fer de lance de l’anti-franquisme comme a pu l’être le FC Barcelone. De même, on associe indubitablement le Real au pouvoir et donc à Franco. C’est oublier qu’au lendemain de la guerre, alors que tous les clubs espagnols sont à la dérive, Santiago Bernabéu, bien qu’ancien combattant des forces nationalistes pendant la guerre civile, se trouve bien esseulé pour rebâtir le Real. Ce n’est que dans les années 50 que Franco décide de s’intéresser au football en vue d’instrumentaliser ce sport populaire en faveur de son régime fasciste. Il jette alors son dévolu sur la Casa Blanca, qui revenue au premier plan, s’apprête à dominer l’Europe. Le club devient alors malgré lui l’ambassadeur de l’Espagne franquiste.

Une classe d’écart entre deux figures historiques du championnat espagnol

Le génial joueur hongrois n'avait rien d'un athlète avec son embonpoint affirmé, mais sa seule patte gauche lui suffisait pour réaliser des prouesses.

Le génial joueur hongrois Ferenc Puskás n’avait rien d’un athlète avec son embonpoint affirmé, mais sa seule patte gauche lui suffisait pour réaliser des prouesses.

L’indécente domination du Real Madrid durant les années 50-60 a rapidement contribué au prestige du club, devenu aujourd’hui inaltérable. Rien que sur cette période, l’institution merengue a remporté 12 de ses 32 championnats et 6 de ses 9 Coupes des Clubs Champions, ancienne version de la Ligue des Champions. De son côté, l’Atlético n’a pas à rougir pour autant. S’ils n’ont jamais su imposer une telle hégémonie, les rojiblancos ont néanmoins raflé 9 Liga et 3 coupes d’Europe, certes mineures, avec une ancestrale Coupe des Vainqueurs de Coupes en 1962 et 2 Europa League en 2010 et 2012.

Chacun des deux clubs madrilènes a également vu passer dans ses rangs son lot de grands joueurs. Du côté de l’Atlético, on pense notamment à Adelardo Rodríguez, joueur le plus capé du club avec 401 matchs, Adrián Escudero, le sulfureux Luis Aragonés ; décédé au début de l’année, l’allemand Bernd Schuster ou encore le portugais Paulo Futre, encore adulé aux abords de Vicente Calderon. Plus récemment,  les colchoneros ont vu se succéder à la pointe de leur attaque une flopée de numéros 9 de talent tels que Fernando Torres, Diego Forlán, Sergio Aguëro, Falcao ou encore Diego Costa, clef de voûte de l’équipe en cette année 2014.

Cependant, la liste des légendes ayant défilé du côté de la Casa Blanca reste sans pareil. Certaines d’entre elles ont lié la quasi totalité de leur carrière au club. C’est le cas de Gento, Michel, Santillana, Raúl, Roberto Carlos ou Casillas. D’autres tels que Di Stéfano, Kopa, Puskás, Santamaria, Breitner, Valdano, Sánchez,  Redondo, Zidane ou Ronaldo y ont brillé plus fugacement.

Pour mieux constater que les deux clubs n’appartiennent finalement pas à la même caste, précisons que 7 joueurs se sont vus décerner le Ballon d’Or alors qu’ils évoluaient sous la tunique immaculée. Il s’agit d’Alfredo Di Stéfano en 1957 et 1959, Raymond Kopa en 1958, Luís Figo en 2000, Ronaldo en 2002, Fabio Cannavaro en 2006 et Cristiano Ronaldo en 2013 et 2014. A ce petit jeu, seuls le Milan AC, la Juventus Turin et le FC Barcelone ont fait mieux.

Un rendez-vous avec l’Histoire

Ce sont deux anciennes gloires, aguerries aux joutes européennes, qui siègent sur le banc des deux équipes. L’argentin Diego Simeone du côté de l’Atlético, qui a notamment remporté une coupe d’Europe en tant que joueur avec l’Inter Milan en 1998 et l’italien Carlo Ancelotti, figure du grand Milan de Sacchi au début des années 90, à la tête du Real Madrid.

 

Ce dernier va pourtant devoir composer avec davantage de pression que son collègue argentin. La fameuse décima, terme qui désigne la quête d’une dixième Ligue des Champions, hante les travées de Santiago Bernabéu et vire carrément à l’obsession ces derniers temps. Car comme l’a rappelé Ramon Calderón, ancien président du Real Madrid de 2006 à 2009, le club merengue ne vit que pour la Ligue des Champions. Celle-ci lui échappe depuis 2002.

Hampden Park, Glasgow 2002 : Zinédine Zidane offre la dernière victoire en Ligue des Champions au Real Madrid d'une magistrale reprise du gauche. Moment d'anthologie.

Glasgow, Hampden Park 2002 : Zinédine Zidane offre dans un moment de grâce, la dernière victoire en Ligue des Champions au Real Madrid d’une magistrale reprise du gauche.

l’Atlético, en remportant la Liga, a de son côté déjà réussi sa saison. Les rojiblancos sont toutefois en mesure de réaliser un exceptionnel doublé qui rappellerait au Real son glorieux passé, lorsqu’il avait lui-même réalisé cette prouesse deux années de suite en 1957 et 1958.

Mais l’équipe d’El Cholo – surnom de Simeone – paraît fatiguée. Les blessures rapides d’Arda Turan et de Diego Costa lors du match du sacre contre le Barça montrent que les corps sont éprouvés. Les deux joueurs sont néanmoins annoncés partant pour la grande finale de ce soir.

Si la blessure du turc s’est avérée minime, le cas Diego Costa laisse néanmoins place à davantage d’interrogations. Touché au biceps fémoral, le club et le joueur ont décidé de jouer leur va-tout en faisant appel à Marijana Kovacevic. Cette jeune pharmacienne serbe, surnommée « docteur miracle » dans le milieu est réputée pour sa capacité à remettre sur pied n’importe quel sportif dans des délais surréalistes. Elle a notamment prodigué ses soins à Robin van Persie et Franck Lampard. Sa technique ; administrer du placenta de jument combiné à des décharges électriques, pour accélérer la cicatrisation du muscle. Une méthode aventureuse, qui provoque le plus souvent l’ire du corps médical. Et même si l’hispano-brésilien tenait le choc pour cette finale, ne mettrait-il pas en danger ses chances de bien figurer dans son pays natal lors de la prochaine Coupe du Monde qu’il s’apprête à disputer avec l’Espagne ? Une péripétie qui illustre en tout cas bien l’enjeu de cette finale de Ligue des Champions, dont l’intensité populaire générée devrait se faire ressentir jusque sur la pelouse lisboète.

Diego Costa, attaquant vedette de l'Atlético Madrid version 2014.

Diego Costa, attaquant vedette de l’Atlético Madrid version 2014.

Une réflexion sur “Ligue des Champions 2014, la finale d’une seule ville

  1. Ah Paulo Futre ! Je me rappelle quand tu me parlais de ce joueur avec un nom rigolo !
    Comme toujours on apprend beaucoup de choses avec tes articles !

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