
Le roi Pelé a indéniablement contribué à la grandeur du numéro 10, devenu fétiche pour beaucoup de joueurs.
Le meneur de jeu, c’est la cerise sur le gâteau footballistique. Il incarne le génie créateur, capable de renverser n’importe quelle situation d’une prodigieuse inspiration, d’un simple geste.
S’il a considérablement évolué ces dernières années avec la généralisation des box-to-box ; joueurs aussi à l’aise défensivement qu’offensivement – Steven Gerrard ou Yaya Touré peuvent être cités en exemples – certaines équipes continuent de s’en remettre aux numéros 10 traditionnels. Mais la délicatesse de ces derniers peut parfois donner la migraine au sélectionneur ou susciter l’envie de quelques coéquipiers. Certains se retrouvent alors sacrifiés sur l’autel de la tactique ou des affinités.
Le clan plutôt que le talent
Lors de la Coupe du Monde 1974, c’est une sélection d’Allemagne de l’Ouest particulièrement divisée qui brille chez elle en remportant le titre ultime.
A cette époque, le Borussia Mönchengladbach et le Bayern Munich se tirent la bourre et dominent outrageusement la Bundesliga. Naturellement, les deux équipes disposent de joueurs de premier plan qui composent une grande partie de l’équipe nationale. Mais un joueur pèse tout particulièrement au sein de la Mannschaft. Il s’agit de Franz Beckenbauer, capitaine incontesté et incontestable de cette sélection et symbole de la ténacité germanique depuis la demi-finale de 1970 durant laquelle il évolua près d’une heure avec une épaule luxée.
Véritable relai sur le terrain du sélectionneur Helmut Schön, il exerce une influence certaine sur les choix de ce dernier durant la compétition, mettant en marge les joueurs de ‘Gladbach sélectionnés. Seuls Vogts et Bonhof sont dignes de figurer dans le onze-type allemand selon le Kaiser. Tant pis pour pour Wimmer, Heynckes et Netzer. Une situation qui peut interpeller quand on sait que ce dernier était tangiblement le plus doué des milieux offensifs allemands. Mais face au charismatique numéro dix au toucher soyeux, Beckenbauer percevait le risque de se faire ravir le rôle de guide suprême de la Mannschaft. C’est pourquoi le milieu du FC Cologne Wolfgang Overath, plus besogneux, moins brillant, est devenu l’animateur offensif de la sélection durant le tournoi devant le malheureux Gunter, avec toutefois la réussite qu’on lui connaît.
- Gunter Netzer n’était pas qu’un footballeur de talent. Il était également un « ferrariste » convaincu. Il reçoit ici les clefs de sa 365 GT/4 Berlinetta Boxer. © Picture-Alliance
- Le joueur allemand pose ici devant sa resplendissante Ferrari 365 GTB/4 Daytona.
- Gunter Netzer fut aussi bien séduit par le 12 cylindres à plat de la Boxer, que par le vigoureux V8 de la Daytona et le joyeux V6 de la Dino 246 GT.
La tactique au détriment du génie
En 1970, c’est le sélectionneur italien Ferruccio Valcareggi qui est en proie à un dilemme tactique concernant la place de meneur de jeu. La Squadra Azzura aborde le Mondial mexicain en qualité de champion d’Europe et on l’imagine une nouvelle fois jouer les premiers rôles.
Cette période glorieuse de l’Italie rime avec catenaccio ; tactique rigoureuse et peu spectaculaire popularisée par l’entraîneur franco-argentin Helieno Herrera avec l’Inter Milan quelques années plus tôt. Un schéma frileux que Ferruccio Valcareggi entend maintenir malgré les nombreux talents disponibles de l’autre côté des Alpes. Zoff, Facchetti, Riva, Rivera, Mazzola font partie de ce qui se fait de mieux à l’époque.
Ces deux derniers sont respectivement meneurs de jeu au Milan AC et à l’Inter Milan, les frères ennemis de la capitale lombarde. Craignant une lutte de pouvoir au milieu, Valcareggi ne conçoit pas de les aligner en même temps. Un de ces deux génies va donc se retrouver à couper les oranges sur le bord du terrain pendant que l’autre mènera à la baguette les contre-attaques italiennes.
Et c’est Rivera, pourtant Ballon d’Or 1969, qui trinque. On peut penser qu’il paye là un charisme moindre et une plus grande méconnaissance du système de jeu que son concurrent intériste. Pourtant, comme un symbole, c’est au rossoneri que reviendra l’honneur de devenir l’homme providentiel de la Nazionale, au terme de la mythique demi-finale contre la RFA, considéré comme le « match du siècle ».
Ce 17 juin 1970, les italiens gèrent tranquillement leur but d’avance, inscrit par Roberto Boninsegna en début de rencontre. Mais Karl-Heinz Schnellinger, alors défenseur du Milan AC, fausse compagnie à ses coéquipiers de club et offre in extremis les prolongations à son équipe.
Dès le début de celles-ci, Gerd Müller donne l’avantage à la RFA. Cependant, Tarcisio Burngnich et Luigi Riva ne se laissent pas abattre et permettent rapidement à l’Italie de passer devant au tableau d’affichage. Mais à la 110ème minute, suite à un corner, der bomber est une nouvelle fois trouvé dans sa zone de prédilection et profite de l’attentisme d’un Rivera qui ne protège pas son poteau comme prévu, pour égaliser. Le portier italien Enrico Albertosi, fou de rage, reconnut après coup avoir copieusement invectivé son coéquipier. Ce à quoi l’intéressé répliqua naïvement : « Il ne me reste plus qu’à aller marquer.»
Mais on ne devient pas une légende du grand Milan AC pour rien. Une minute plus tard, à la suite d’un débordement de Boninsegna qui parvient à prendre le meilleur sur Schulz, Rivera, étrangement seul, est trouvé au point de pénalty et honore sa promesse. En quelques secondes, le génial meneur de jeu italien passe du paria au messie et éclipse, malgré un temps de jeu total famélique, son concurrent Mazzola.

Alessandro Mazzola à gauche, Giovanni Rivera à droite ; deux meneurs pour une seule place dans le onze-type de la Nazionale durant la Coupe du Monde 1970.
Le contre-exemple brésilien
Restons en 1970, toujours en terres mexicaines. Le Brésil y déploie l’équipe considérée comme la plus flamboyante de l’Histoire. A priori, cette sélection s’apparente pourtant à un sérieux casse-tête pour le sélectionneur Mário Zagallo. En effet, pour constituer son secteur offensif, le vénérable tacticien de la Seleção doit composer avec cinq joueurs de grand talent mais au profil comparable de numéro 10. Or, plutôt que d’en écarter certains pour mettre en lieu et place des spécialistes de chaque poste, il ose l’audacieux pari de les aligner tous en même temps dans un 4-2-4 devenu légendaire. Le technicien Rivelino se retrouve alors sur l’aile gauche, le perforateur Jairzinho à droite, le polyvalent Tostão tourne autour du roi Pelé, qui gambade sur tout le front de l’attaque et Gerson recule en position de milieu relayeur pour faire parler son magnifique jeu long, un peu à la manière d’un Andrea Pirlo ou d’un Kevin Strootman aujourd’hui.
Et avec 19 buts marqués en 6 rencontres, on peut dire que l’alchimie a été trouvée. Pelé, s’il en a inscrit 4, a surtout œuvré de par ses nombreuses passes décisives et ses actions mémorables face à Gordon Banks et Ladislao Mazurkiewicz notamment. Jairzinho a quant à lui réalisé la prouesse, jusque-ici inégalée, d’inscrire au moins un but lors de chaque rencontre, bouclant finalement l’exercice avec 7 unités au compteur.
Fort bien préparés, les auriverdes offrent une leçon de football au monde entier et montrent que les talents, quelqu’ils soient, peuvent s’additionner. Il faut toutefois convenir que sur l’ensemble des joueurs brésiliens pesait une pression toute remarquable. Il fallait rattraper l’échec de 1966 où en Perfide Albion, les brésiliens, pourtant tenant du titre, se firent éliminés dès le premier tour.
Une humiliation qui n’a certainement pas été du goût de la junte militaire au pouvoir depuis 1964. Certains joueurs, tels que Roberto Rivelino, ont concédé avoir été contacté par le répressif président Emílio Médici avant le mondial 1970. Et s’il précisa que c’était essentiellement pour parler ballon rond, on peut se réserver le droit d’imaginer que le génial gaucher s’est quelque peu arrangé avec la vérité.
- Les onze brésiliens lors de leur entrée sur la pelouse du Stade Azteca de Mexico, théâtre de la finale de 1970. De gauche à droite, le capitaine Carlos Alberto, Brito, Gérson, Piazza, Everaldo, Tostão, Clodoaldo, Rivelino, Pelé, Jairzinho et Félix.
- La Squadra Azzura s’est littéralement fait balader par la Seleção. Pelé, qui a inscrit le premier but de cette finale, est ici dans le dos du mythique portier italien Dino Zoff.
Le cas intéressant de la Croatie version 2014
Aujourd’hui, le meneur de jeu n’est plus un poste indéfectible. De plus en plus d’équipes s’en passent. Quelques nations résistent malgré tout. On pense aux Pays-Bas avec Wesley Sneijder ou à l’Allemagne avec Mesut Özil. Mais une autre équipe se montre intéressante de ce point de vue. Il s’agit de la Croatie.
Le mondial brésilien approchant, les Damiers de Niko Kovač étaient annoncés comme très prometteurs. Fort de son milieu de terrain composé de quatre meneurs de jeu à la technique suave, la Croatie a confirmé lors du match d’ouverture face à la Seleção le 12 juin dernier et malgré un score défavorable bien éloigné de la physionomie du match, qu’il fallait compter sur eux.
Ivan Rakitić – néo barcelonais – et Luka Modrić, alignés en position de milieux défensifs, ont été très efficaces dans le pressing et ont bien contenu le milieu brésilien tout en faisant parler leurs qualités techniques sur les contres. Ivan Perišić, exilé sur le côté droit, qui n’est pas celui qui lui sied le mieux, a montré combien sa patte gauche pouvait être dangereuse. Seul Mateo Kovačić, à qui est revenue la place de numéro 10, a montré un peu trop de tendresse du haut de ses 20 ans.
S’il paraît difficile pour cette équipe de prétendre au dernier carré, on peut lui reconnaître la bravoure de miser sur la technicité de ses joueurs plutôt que de tomber dans le travers bien trop courant consistant à recourir à des montagnes de muscles au milieu de terrain pour annihiler les entreprises adverses. Un certain vent de fraîcheur en somme.

Coéquipiers en sélection mais non moins adversaires en Liga. Si Modrić s’est imposé au Real Madrid, Rakitić, qui a fait les beaux jours du FC Séville, va désormais devoir briller dans l’entrejeu du FC Barcelone.






Super intéressant cet article ! Juste une petite remarque, je n’ai pas eu l’impression qu’Ozil jouait en 10 contre le Portugal.
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Oui c’est exact, Joachim Löw l’a exilé sur le flanc gauche ! Mais son style de jeu fait quand même de lui un vrai 10 créateur.
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