Alfredo Di Stéfano, disparition d’un amoureux du football

Alfredo Di Stéfano, au bar, tranquille.

Après Eusébio, c’est une deuxième icône du panthéon du football qui nous quitte en cette année 2014. Alfredo Di Stéfano n’est plus, terrassé par une énième crise cardiaque à l’âge canonique de 88 ans. S’il a brillé en Amérique du Sud, c’est surtout sous le maillot du Real Madrid, dont il était devenu président d’honneur depuis l’an 2000, que ce passionné a marqué les esprits.

Des débuts fulgurants en Amérique du Sud

Issu d’une famille de supporters de River Plate, où son père a évolué autour de 1910, c’est naturellement que le jeune porteño intègre le prestigieux club de la capitale argentine, au terme d’un essai concluant à tout juste 18 ans. Ce fan incontesté de la légende de l’Independiente Arsenio Erico, réputé pour sa puissante frappe de balle, se retrouve alors au milieu de la fameuse Máquina du River qui, menée par Pedernera, Loustau, Labruna, Moreno et Muñoz, domine outrageusement le continent grâce à son jeu huilé et virevoltant.

Encore trop jeune pour venir détrôner les pontes de cette équipe, c’est au sein du club voisin des Huracán que Di Stéfano révèle son potentiel extraordinaire à partir de 1946. L’année suivante, il profite du départ d’Adolfo Pedernera vers l’Atlanta pour s’offrir une place dans le onze des Gallinas. Il contribue ainsi grassement au titre et s’impose comme le nouveau maestro de l’équipe.

Mais au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, le football devient bien plus qu’un simple loisir. Sa professionnalisation est en marche. Les joueurs argentins n’acceptent plus leur situation précaire et décident de se mettre en grève à la fin des années 40. Ne pouvant plus jouer, Alfredo Di Stéfano se voit obligé de prendre en considération une offre formulée par les Millonarios, lui qui n’a encore jamais quitté sa ville natale. Rassuré par la présence sur place de plusieurs compatriotes argentins, dont Adolfo Pedernera, il accepte la proposition et s’envole pour la Colombie. Il ne cacha pas par la suite que le salaire fort alléchant promis par le club de Bogota avait également largement pesé dans la balance.

Ferenc Puskás, José Santamaría et Alfredo Di Stéfano.

Ferenc Puskás, José Santamaría et Alfredo Di Stéfano. Trois cadres du grand Real Madrid des années 50-60.

Un exil européen sensationnel

Malgré un important imbroglio autour de son arrivée en Espagne en 1953 où le FC Barcelone disait avoir un accord avec River Plate alors que le Real Madrid soutenait l’avoir acheté aux Millonarios, l’empêchant de jouer pendant près de 4 mois, Alfredo Di Stéfano s’est facilement adapté au « Vieux continent ». Il devient rapidement décisif avec le Real Madrid qui a finalement obtenu le dernier mot. Pour preuve, l’équipe de Santiago Bernabéu s’empare du titre national dès 1954, alors que celui-ci lui échappait depuis près de vingt ans.

Le Real façonne alors une véritable équipe de rêve autour du soliste hispano-argentin. Outre certains compatriotes tels que José Héctor Rial ou Rogelio Domínguez, on voit débarquer sur les rives du Manzaneres des stars étrangères comme Raymond Kopa ou Ferenc Puskás. Durant plus d’une décennie, la Saeta Rubia – « Flèche blonde » – va permettre au club royal de forger son mythe en glanant pas moins de huit titres nationaux et cinq Coupe d’Europe des Clubs Champions, malgré deux finales tragiquement perdues face au Benfica Lisbonne d’Eusébio en 1962 et à l’Inter Milan de Mazzola en 1964.

Une réussite collective à laquelle Di Stéfano a largement contribué, fort de ses 314 buts inscrits en 414 matchs joués sous la tunique immaculée. Naturellement, les distinctions personnelles ont suivi. Outre les prix honorifiques qu’il s’est vu décerné au lendemain de sa carrière, il faut retenir ses deux Ballons d’Or obtenus en 1957 et 1959. Et pour davantage mesurer l’impact qu’il a eu au sein de la capitale espagnole, signalons qu’il a été élu meilleur joueur de l’histoire du club en 2008. Une récompense remarquable quand on connait les joueurs d’envergure qui ont investi les rangs merengues.

Il boucla sa carrière de joueur à pratiquement 40 ans au sein de l’Espanyol Barcelone, avant d’embrasser une carrière d’entraîneur. Dans ce rôle, il s’illustra surtout avec le FC Valence de Mario Kempes en 1980, puis le Real Madrid – of course – en 1983 et 1984. Durant ces années, il a la chance d’avoir sous la main la fameuse Quinta del buitre composée de Butragueño, Manuel Sanchís, Míchel, Vázquez et Pardeza qui emmena le club en finale de chacune des compétitions dans lesquelles il fut engagé, sans jamais s’adjuger un seul trophée.

Star malgré lui et prototype du joueur moderne

Alfredo Di Stéfano peut être considéré comme le tout premier « neuf-et-demi » de l’Histoire. Malgré ce que pourrait laisser penser ses statistiques et son impressionnant ratio de 0,76 but par match tout au long de sa carrière – à titre de comparaison Ronaldo présente de son côté un ratio de 0,68 but par match – l’hispano-argentin n’a jamais adhéré à l’idée de rester esseulé sur le front de l’attaque. Il aimait participer au jeu, courir, décrocher pour libérer de l’espace pour ses coéquipiers. Un profil d’attaquant reculé qui fut par la suite perpétué par des joueurs tels que Diego Maradona, Roberto Baggio ou plus récemment Alessandro Del Piero, Francesco Totti et Raúl González Blanco. Et si sa technique divine faisait de lui un joueur spectaculaire, il n’avait jamais perdu de vue une certaine efficience footballistique. Comme il se bornait à le rappeler : « un beau geste, c’est un geste juste, au moment juste. »

Diego Maradona et Alfredo Di Stéfano en 1995.

Diego Maradona recevant son Ballon d’Or d’honneur des mains du grand Di Stéfano, en 1995.

Il devint en fin de compte une des toutes premières étoiles que le football a pu générer, lui conférant un rôle social et politique qu’il a néanmoins toujours réfuté. Seul le football l’intéressait.

C’est pourquoi il balayait d’un revers de main l’hypothèse selon laquelle Franco ait pu agir en sous-main pour le faire venir au Real Madrid. Et lorsqu’il abordait sa rencontre avec Ernesto Guevara, rencontré par le biais de son coéquipier Héctor Rial, il soulignait la sympathie apparente du personnage, sans pour autant démontrer quelconque intérêt pour son action révolutionnaire.

Sa détestation de la politique ne fut que davantage exacerbée par un curieux épisode qui survint en 1963. Le Real Madrid faisait une tournée au Venezuela cette année-là. Un matin, deux personnes se faisant passer pour des policiers vinrent le chercher à sa chambre d’hôtel. Il s’agissait en fait de ravisseurs qui voulaient utiliser son statut de meilleur joueur du monde pour mettre en lumière les difficultés qu’engendrait la chute du baril de pétrole sur la Tierra de Gracia. Si tout ce manège pris heureusement fin dès le deuxième jour, la « flèche blonde » ne comprit jamais comment le simple joueur qu’il était pouvait susciter tant de convoitises, faire l’objet de tant de tentatives d’instrumentalisations.

Il n’était pourtant pas vraiment n’importe qui. Pour preuve, Diego Maradona et Pelé, pourtant reconnus pour leur égocentrisme démesuré, assurent que ce fut le plus grand joueur de l’Histoire.

Alfredo Di Stefano, costume et pochette.

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