Aristote Onassis, l’élégance helléniste

Noeud Onassis dans Taxi Driver, film de Martin Scorcese datant de 1976.

J’ai récemment visionné Taxi Driver, chef d’œuvre déroutant de Martin Scorcese sorti en 1976. On y croise Robert De Niro, dans le rôle de Travis, un chauffeur de taxi vétéran de la Guerre du Viêt Nam, et Jodi Foster, dans la peau d’Iris, une péripatéticienne tout juste adolescente.

Une scène a particulièrement retenu mon attention. Un gros plan sur le tenancier de l’hôtel miteux dans lequel le personnage d’Iris doit effectuer ses basses besognes, révèle que celui-ci arbore un nœud de cravate tout à fait particulier, noué en apparence assez négligemment. Après une observation plus approfondie, on remarque qu’il s’agit en fait d’un « nœud Onassis », du nom du plus célèbre des armateurs grecs. Cette figure phare de la jet-set mondiale, toujours superbement accompagnée, fut également un modèle d’élégance méditerranéenne.

Une vie agitée et un mode de vie fastueux

Issu d’une famille très aisée de Smyrne, cité ottomane plus connue sous le nom d’Izmir de nos jours, le jeune Aristote est peu enclin aux études malgré les espoirs de son père Socrate et préfère s’adonner au sport. Une question de philosophie sans doute.

Sa vie paisible et insouciante est chamboulée par la disparition prématurée de sa mère en 1912, puis par les exactions commises par les turcs à l’encontre des grecs d’Asie Mineure dix ans plus tard. Après un bref exil à Athènes, il embarque finalement en 1923 pour l’Argentine. Là-bas, il commercialise le tabac que fabrique son père. Son affaire prospère rapidement. Sa capacité à s’entourer de personnalités du monde artistique telles que Carlos Gardel ou Claudia Muzio, n’y étant pas étrangère.

Fortune s’amassant, il peut enfin se tourner vers le monde maritime qui l’a toujours attiré. Il rachète de vieux cargos canadiens qu’il réhabilite et imagine le concept de pavillon de complaisance, avec le Panama en l’espèce, pour réduire ses coûts et payer moins d’impôts. L’évasion fiscale importe alors peu. Il profite également de la Seconde Guerre mondiale pour développer ses activités en mettant sa flotte à disposition des Etats-Unis.

Aux débuts des années 50, il installe ses affaires à Monaco, contribuant ainsi à l’essor et à la renommée du Rocher. C’est également dans le port de la principauté que mouille son fameux yacht, le Christina O, devenu un haut lieu de la vie mondaine internationale. Les plus grands s’y sont côtoyés. Parmi eux, de nombreuses femmes, avec qui « Aristo » connaît de sulfureuses idylles. On pense notamment à sa compatriote, la cantatrice Maria Callas ou encore Jackie Kennedy, qu’il épouse en 1968.

 

Il reste avec Stávros Níarchos, la figure marquante de l’âge d’or des armateurs grecs. Il partage avec ce dernier, outre un sens aigu des affaires et un goût prononcé pour la fête, un certain nombre de conquêtes. Parmi elles, Athina et Eugenia Livanos, toutes deux filles de Stávros Livanos, autre grand armateur dont ils convoitaient l’armada.

Mise générale classique et détails hérétiques

« Pour transgresser les règles, il faut d’abord les maîtriser ». Ce leitmotiv cher à l’horloger suisse Audemars Piguet, lui sied à merveille.

Jackie et Aristote Onassis en 1969.

Aristote et Jackie Onassis, au sortir de la soirée d’anniversaire de cette dernière. Cette photographie permet d’observer le nœud de cravate si curieux de l’industriel grec. © Nicholas Tsikourias

En marge de costumes croisés savamment agrémentés d’une pochette de soie blanche, Aristote Onassis aimait se distinguer par le biais d’accessoires. On pense notamment à ses épaisses montures en écaille de tortue, fabriquées par les célèbres lunettiers français Maison Bonnet et François Pinton, mais surtout à son port unique de la cravate. C’est au sein de la belle manufacture napolitaine Marinella, adresse prisée des élégants transalpins – Luchino Visconti ou Giovanni Agnelli en tête – que le richissime homme d’affaire grec se fournissait, avec un faible pour les tissus noirs. Et pour préserver ces œuvres artisanales des pliages successifs, il imagina un nœud déstructuré qui offrait un rendu proche du foulard ascot dans sa portion supérieure, tout en conservant la longueur coutumière de la cravate. Son caractère peu conventionnel lui a conféré une singularité telle que l’on parle aujourd’hui de « nœud Onassis », bien qu’il demeure assez peu usité car périlleux.

Aristote Onassis à la mise toujours impeccable.

Aristote Onassis, un fidèle du costume croisé, de la pochette en soie blanche et des lunettes en écaille.

Mais comme pour contrebalancer cette touche d’originalité, il aimait ceindre son poignet d’une traditionnelle Breguet. Seule la Nastrix qu’il reçut de Jackie, alors devenue sa femme et qui appartenait à JFK, vint sortir des sentiers battus sa collection de garde-temps.

Un goût moins aiguisé d’un point de vue automobile

S’il fut un précurseur en matière de yacht de luxe, avec son fameux Christina O de 99 mètres de long, Aristote Onassis semblait moins avisé pour ce qui est de l’automobile.

Sa démesure l’incita tout d’abord à s’attacher les services d’une Mercedes-Benz 600 Pullman Landaulet. Une limousine découvrable de plus de 6 mètres de long et de presque 3 tonnes, dont on doit le modernisme à Paul Bracq. Durant ses 20 ans de carrière, ce vaisseau de la route sut séduire outre le pape Paul VI et de nombreuses personnalités de l’industrie du spectacle, un grand nombre de dictateurs comme Josip Tito, Enver Hoxha, Nicolae Ceaucescu, Idi Amin Dada, Jean-Bedel Bokassa, Pol Pot, Kim Jong-Il ou Ferdinand Marcos – qui en possédait 4 – pour ne citer qu’eux.

On sait également qu’Aristote Onassis possédait une Ferrari 250 GTE 2+2. Présentée au monde entier lors des 24 Heures du Mans 1960, elle fut la toute première « quatre places » de série de la firme au cheval cabré. Pour autant, si son succès fut incontestable, il altéra conséquemment son prestige, la rendant quelque peu banale par rapport à ses consœurs GTO, Lusso ou California.

 

Mais une anecdote peut venir nuancer quelque peu ces propos. Onassis tenait en haute estime le chanteur Stamatis Kokotas, par ailleurs ancien rallyman et grand amateur d’automobiles. Il décida dès lors de lui offrir une voiture pour lui signifier son admiration. Et c’est vers une Lamborghini Miura P400S de 1969 qu’il se dirigea. Une décision qui ne peut souffrir d’aucune contestation, tant l’auto, déjà exclusive et merveilleuse à l’époque est devenue aujourd’hui le joyau historique de la marque au taureau. Choisie dans une livrée brune très intéressante dans son association avec le cuir beige de l’habitacle, elle fut également largement personnalisée avec la flamboyance que l’on connaît à l’armateur. On pense spécialement au levier de vitesse gravé et aux différents ornements placés au niveau du moyeu du volant.

Plus intéressant encore, c’est le sort peu ordinaire de cette voiture. Elle a ainsi été retrouvé en 2012 alors qu’elle croupissait depuis près de quarante ans dans le parking de l’hôtel Hilton d’Athènes. Un abandon causé apparemment par des soucis mécaniques chroniques.

Si le défi pour lui rendre une nouvelle jouvence est de taille, on comprend toutefois qu’elle soit parvenue à trouver preneur tant la Miura connait aujourd’hui une véritable explosion de sa cote. A tel point que certains modèles ont déjà franchi la barre du million d’euros. Gageons qu’un spécimen au passé si singulier puisse atteindre un jour une telle valeur.

2 réflexions sur “Aristote Onassis, l’élégance helléniste

  1. Incroyable de laisser moisir une Miura dans un garage ! Je me rappelle encore du film de l’essai de cette belle lamborghini verte sur le CDrom autojenesaisplusquoi. On le passait en boucle en marche arrière pour faire rugir ce merveilleux moteur !

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