La Juventus Turin était l’outsider du dernier carré de cette soixantième édition de la Ligue des Champions. L’équipe sur laquelle il fallait tomber pour maximiser ses chances d’atteindre la finale berlinoise. Les attaques intempestives à l’encontre de la Serie A, prétendument en pleine déchéance, n’y sont sans doute pas étrangères. Mais il ne faut préjuger de rien, surtout avec un club italien. Le Real Madrid s’en est souvenu, à ses dépens.
L’inconscient collectif, gavé de Clásico à longueur de saisons, s’imaginait voir s’écharper le FC Barcelone et le Real Madrid en finale de la compétition reine du continent européen, laissant présager une confrontation musclée où provocations et mauvais gestes prennent souvent le pas sur l’intensité sportive et la beauté footballistique que l’on est en droit d’attendre de clubs de cette envergure. Heureusement, une « vieille dame » qui fêtera ses 118 ans en novembre prochain, est venue déjouer tous les pronostics (« pronostixs » serait même plus à-propos).
Retour en grâce d’un ponte de l’Histoire footballistique
L’époque contemporaine tend à le faire oublier, mais la Juventus demeure l’un des clubs les plus prestigieux. Toute-puissante sur le territoire de la Botte avec 31 Calcio accumulés contre 18 pour chacun des deux représentants milanais, les bianconeri ont également joué les premiers rôles sur le front européen. Il s’agit même de la première équipe à avoir remporté toutes les compétitions internationales.
Mais l’existence du club phare du Piémont n’a pas été un long fleuve tranquille. Plusieurs événements ont fortement secoué ce colosse centenaire, resté contre vents et marées dans le giron de la célèbre famille Agnelli – propriétaire du groupe FIAT – depuis 1923.
- Michel Platini et Gianni Agnelli. Le charismatique patron italien était tombé sous le charme du joueur français. Il n’était pas le seul puisque les juventini l’ont élu joueur du siècle.
- Andrea Agnelli, le neveu de l’Avvocato, a repris les rênes du club en 2010. Il a depuis rapidement goûté aux joies de la victoire avec 4 Calcio, 1 Coupe d’Italie et 2 Supercoupes d’Italie.
L’un des plus marquants s’est produit le 29 mai 1985. Il s’agit du « Drame du Heysel », survenu à l’occasion de la finale de la Ligue des Champions qui opposait le FC Liverpool de Joe Fagan à la Juventus de Giovanni Trapattoni. Ce qui devait être une grande soirée de football s’est rapidement transformée en une tragédie incompréhensible, où la folie des hooligans liverpuldiens, assoiffés de vengeance après le traitement qui leur a été réservé à Rome une année plus tôt, n’a eu d’égal que l’amateurisme des services d’ordres belges.
Un premier sacre dans l’élite européenne, qui garde encore aujourd’hui, un goût très amer chez les acteurs de l’époque. Si Michel Platini, unique buteur du match grâce à un pénalty imaginaire, a toujours refusé de remettre les pieds dans l’enceinte bruxelloise, Marco Tardelli a même confié à la Rai ne pas se rappeler avoir remporter la coupe ce soir-là. Un contexte qui explique pourquoi 30 ans quasiment jour pour jour après ce funeste événement, la finale de ce soir au Stade Olympique de Berlin revêt un double enjeu à la fois sportif et symbolique.
- Le trio offensif de choc de la Juventus des 80′ : Paolo Rossi, Michel Platini et Zbigniew Boniek.
- Claude Makélélé taclé par Didier Deschamps lors de la demi-finale de Ligue des Champions 1996 opposant la Juventus au FC Nantes.
11 ans plus tard et deux Coupes de l’UEFA soulevées entre temps (en 1990 et 1993), le club turinois s’arroge plus glorieusement une nouvelle Ligue des Champions en domptant la superbe génération ajacide de Louis van Gaal, vainqueur de l’édition précédente, après s’être débarrassé du FC Nantes en demi-finales !
La dernière grande performance dans la compétition du club bianconeri remonte désormais à la terne finale de 2003, qui a vu le Milan AC s’imposer aux tirs au but. Une campagne européenne au cours de laquelle la Juve avait éliminé les blaugranas en quarts de finale. Ce fut leur dernière confrontation à un tel échelon. En effet, toute cette présence au plus haut niveau s’est brutalement interrompue avec le Calciopoli ; scandale de matchs truqués de grande ampleur, qui impliqua un grand nombre de clubs professionnels italiens. Et la Juventus Turin n’a pas été épargnée, loin de là. Il faut dire que son directeur général de l’époque, le controversé Luciano Moggi, a été au centre de ce tapage. La Juventus a en fin de compte été le seul club à être relégué en Serie B, tout en étant déchu des titres nationaux obtenus lors des saisons 2004-2005 et 2005-2006.
Après une année de purgatoire, le phénix renaît de ses cendres, grâce à la fidélité inaltérable de certains de ses cadres tels que Gianluigi Buffon, Mauro Camoranesi, et surtout du trident offensif composé du capitaine Alessandro Del Piero, du Ballon d’Or 2003 Pavel Nedvěd et du renard des surfaces attitré, David Trezeguet. Le tout, sous les ordres d’un Didier Deschamps auréolé de sa formidable épopée monégasque et resté attaché au club qui lui a fait remporter sa deuxième Ligue des Champions.
- Passage de relai entre Andrea Pirlo et Claudio Marchisio, appelé à remplacer le métronome barbu au poste de regista.
- Claudio Marchisio a été lancé dans le grand bain par Didier Deschamps. Il est depuis devenu un élément incontournable du onze bianconeri.
Depuis, le club est redevenu l’ogre du Calcio. Les mauvaises langues avanceront que cette situation est facilitée par le déclin général du championnat italien et de ses fleurons, les clubs milanais en tête. Quid du retour au premier plan des clubs romains, du Napoli ou même de la Fiorentina dans ce cas ?
Un renouveau, symbole de la réhabilitation du football transalpin
Le football italien a vécu une période de transition délicate entre la décennie 2000 et 2010. La faute aux scandales évoqués précédemment mais aussi aux difficultés éprouvées par les nouvelles générations pour suppléer leurs glorieux aînés.
Le fait que Luca Toni, 38 ans, termine meilleur buteur du Calcio cuvée 2014/2015, avec 22 réalisations – à égalité avec l’argentin de l’Inter, Mauro Icardi – qu’Antonio Di Natale et Francesco Totti, 37 et 38 ans, demeurent encore les atouts offensifs de leur club respectif ou encore que Gianluigi Buffon, Andrea Pirlo et Andrea Barzagli restent des éléments incontournables de la Juventus, semble aller dans ce sens.

« Gigi » Buffon, Andrea Barzagli et Andrea Pirlo ; plus de 35 ans de moyenne d’âge. Le trio d’expérience de la Juventus aura fort à faire face au FC Barcelone ce soir.
Les nouveaux talents sont pourtant bien existants. Alessio Romagnoli, Danilo Cataldi ou encore Domenico Berardi, qui termine meilleur passeur du championnat, ont à peine 20 ans et offrent de belles promesses au football italien. Néanmoins, la Serie A semble ne plus savoir faire grandir ses jeunes pousses. Les exemples les plus emblématiques de ces dernières années restent Marco Verratti, qui fait étalage de tout son talent sous la tunique du Paris SG qui est allé le dénicher à Pescara en Serie B, Ciro Immobile qui, au terme d’un excellent exercice 2013/2014 avec le Torino, est allé changer d’air du côté du Borussia Dortmund où il peine à s’imposer, ou encore Fabio Borini, qui connaît un sort comparable outre-Manche.
Des carences qui seraient en fait le fruit d’un phénomène d’internationalisation massif du championnat italien, qui expliquerait le déclin de la Serie A. C’est en tout cas ce qu’a soutenu plus que maladroitement Arrigo Sacchi, mythique entraîneur du grand Milan de la fin des années 80 – début 90. Pour lui, il apparaît fort regrettable que les clubs italiens jettent désormais avant tout leur dévolu sur des joueurs étrangers pour constituer les rangs de leur équipe, plutôt que de favoriser l’émergence d’une base de joueurs nationaux, agrémentée de joueurs issus d’autres horizons apportant une véritable plus-value. Ce fut le cas avec le trio batave – Rijkaard, Gullitt, van Basten – pour le Milan de Sacchi, avec le duo Boniek – Platini pour la Juventus dans les années 80 ou plus récemment avec le double apport sud-américain (Juan Sebastián Verón, Matías Almeyda, Marcelo Salas, Diego Simeone) et est-européen (Siniša Mihajlović, Alen Bokšić, Dejan Stanković, Pavel Nedvěd) pour la Lazio Rome championne d’Italie en 2000.
- Michel Platini et Zbigniew Boniek étaient les fers de lance de la Juventus lors du premier titre de 1985. Ils étaient aussi les deux seuls étrangers de l’équipe. Un duo d’attaque qui a fait chavirer les juventini à l’époque.
- Frank Rijkaard, Marco van Basten et Ruud Gullit ont fait les beaux jours du Milan AC à la fin des 80′. A l’image de Boniek et Platini à la Juventus, ils étaient les seuls non-italiens de l’équipe-type de leur entraîneur, Arrigo Sacchi.
Si ce point de vue peut être contesté, en ce qu’un joueur mauvais, même italien, ne mérite pas plus de jouer qu’un autre joueur de piètre qualité d’une autre nationalité, il soulève indirectement un autre questionnement autour des répercussions de cette forte internationalisation d’un championnat sur les performances de la sélection nationale du pays concerné. Ainsi, l’Angleterre, qui connaît le plus fort taux de joueurs étrangers dans son championnat (environ 62%), peine à se doter d’une sélection nationale digne de ce nom. Une trajectoire que semble imiter l’Italie qui, à ce classement, se place tout juste derrière l’état insulaire, avec environ 51% de joueurs étrangers (à noter que la Liga flirte avec les 40% et que la Ligue 1 dépasse tout juste les 25%).
La dernière Coupe du Monde n’en est-elle finalement pas la meilleure illustration ? En effet, les Three Lions et la Nazionale, qui étaient dans le même groupe, se sont tristement fait supplanter par le Costa Rica et l’Uruguay, se faisant ainsi éliminées dès le premier tour.
Une victoire sur le FC Barcelone ce soir serait donc le moyen le plus efficace d’offrir une véritable bouffée d’oxygène à un football italien bien éloigné de son aura d’antan et embourbé dans des difficultés économiques de plus en plus lourdes.








