Du béguin de la vitesse

Luigi Russolo 'Dynamisme d'une automobile' (1912 - 1913)

Dynamisme d’une automobile‘(1912 – 1913), toile de Luigi Russolo, figure prépondérante du mouvement futuriste. Egalement compositeur de talent, il est considéré comme le père du bruitisme.

« L’homme passe en trombe, pense en trombe, sent en trombe, aime en trombe et vit en trombe ». Cette citation de l’écrivain français Octave Mirbeau (1848 – 1917) résume à elle seule le penchant de l’individu pour la vitesse. On comprend dès lors mieux pourquoi il a œuvré tout au long du dernier siècle dans le but de sans cesse repousser les limites de la vitesse terrestre, à bord d’engins toujours plus affolants.

Il est amusant d’observer qu’à la fin du XIXème siècle, aux prémices de l’automobile, de téméraires pilotes s’engageaient dans des concours de vitesse à bord de véhicules électriques. Une technologie qui retrouve ses lettres de noblesse aujourd’hui. Il est vrai que face aux enjeux environnementaux qui nous guettent, cette énergie fait quelque peu figure de rédempteur pour l’industrie automobile.

Force est de constater que pour atteindre des performances toujours plus grandes, l’homme s’est successivement tourné vers le moteur à explosion, puis les systèmes de propulsion à réaction.

L’histoire du vertige de la vitesse

Le mouvement littéraire et artistique futuriste, né au début du XXème siècle, prônait une certaine divinisation du modernisme par le truchement de la machine et de la vitesse. S’il ne perdura que jusqu’en 1920, certains de ces aspects furent pour autant largement repris par d’autres courants tels que le bruitisme ou le dadaïsme.

Filippo Tommaso Marinetti, instigateur du mouvement futuriste.

Filippo Tommaso Marinetti

Les écrits de son instigateur, Filippo Tommaso Marinetti (1876-1944) permettent de mettre en lumière ce désir incessant et insensé de vitesse. Il explique dans son fameux Manifeste du Futurisme (1909) : « La splendeur du monde s’est enrichie d’une beauté nouvelle : la beauté de la vitesse. » Avant de poursuivre « Une automobile de course avec son coffre orné de gros tuyaux tels des serpents à l’haleine explosive (…) une automobile rugissante, qui a l’air de courir sur de la mitraille est plus belle que la Victoire de Samothrace»

Cette mouvance, éphémère mais puissante, a enjoint l’homme à voir toujours plus loin, toujours plus vite.

De l’électrique à l’explosion (1898-1947)

L’idée saugrenue d’atteindre la vitesse la plus élevée à bord d’un engin motorisé vient tout droit de nos contrées. De 1898 à 1899, un âpre duel opposa le français Gaston de Chasseloup-Laubat au belge Camille Jenatzy. Après trois tentatives chacun, se rendant à chaque fois la pareille, c’est finalement ce dernier qui obtint le dernier mot en franchissant la barre symbolique des 100 km/h à bord de sa fameuse CITA n°25, plus connue sous le nom de Jamais Contente.

 

Les records flirtent ensuite rapidement avec les 140 km/h jusqu’en 1904, année où Henry Ford, créateur du constructeur éponyme, dépasse cette vitesse sur le Lac gelé de Saint Clair.

Dès lors, ces pratiques connaissent un essor considérable outre-Atlantique. A tel point qu’à partir de 1927, les terrains de jeu français, belge, anglais ou gallois – on pense à Pendine Sandsmise à l’honneur l’été dernier – sont délaissés au profit de la fameuse plage de Daytona, en Floride. Cette dernière fut le théâtre des prouesses des britanniques Henry Segrave et Malcolm Campbell. Le premier atteignit notamment la vitesse de 372 km/h avec sa fameuse Irving Napier Golden Arrow en 1929. Le second le surpassa six ans plus tard en emmenant sa Campbell Rolls-Royce Railton Blue Bird à 444 km/h.

En 1935, ce même Malcolm Campbell décide de faire rouler son bolide sur le Lac Salé de Bonneville, dans l’Utah. Il est vrai que ce salar de 260 km2 semble être le terrain de jeu idéal pour ce genre d’exercices. Ce ne fut pourtant pas le premier à tromper la mort sur cette étendue lunaire. On rapporte en effet qu’en 1914, Teddy Tetzlaff est venu emmener sa fameuse Blitzen Benz de 21 000 cm3 à 228 km/h. Un record qui demeure toutefois officieux.

 

Durant l’entre-deux-guerres, les performances s’envolent littéralement jusqu’à atteindre 595 km/h la veille de la Seconde Guerre Mondiale, grâce à John Cobb et sa Railton. Au lendemain de la guerre, le pilote britannique gagne 38 km/h avec la version Mobil Special de cette même Railton.

S’ensuit une période d’accalmie, marquant la fin de l’ère du moteur à explosion pour ces records. Désormais, pour voir plus haut, l’homme entend se tourner vers le moteur à réaction.

Renault a connu son heure de gloire dans cette course effrénée. En 1956, Jean Hébert envoie 'L'Etoile Filante" à 308 km/h, consitituant un record dans la catégorie des automobiles de moins de 1 000 kg.

Renault a aussi connu son heure de gloire dans cette course effrénée. En 1956, Jean Hébert envoie ‘L’Etoile Filante » à 308 km/h, constituant un record dans la catégorie des automobiles de moins de 1 000 kg.

Réaction puis retour à l’électrique

Il faut attendre 1963 pour assister à un nouveau record du monde de vitesse terrestre. On le doit cette fois-ci à l’américain Craig Breedlove à bord de Spirit Of America. Un impressionnant engin à trois roues qu’il emmena jusqu’à 657 km/h. Deux ans plus tard, c’est ce même pilote qui flirta avec les 1 000 km/h avec le dérivé Sonic 1 de Spirit Of America.

 

Cette vitesse affolante à quatre chiffres, c’est Gary Gabelich et son impétueuse Blue Flame à moteur fusée, qui la franchissent en 1970 avec une vitesse maximale de 1 014 km/h. Une performance qui marqua un léger coup d’arrêt, jusqu’en 1983, où le britannique Richard Noble accentue ce record de 5 km/h à bord de Thrust 2 dans la poussière du Black Rock Desert, connu pour accueillir désormais le festival Burning Man. Il sera imité par son compatriote Andy Green en 1997 qui, avec Thrust SSC, atteignit 1 227 km/h. Ce qui reste à ce jour l’ultime record de vitesse terrestre.

 

Ces dernières années, ce sont les véhicules électriques qui se sont illustrés en la matière. Et c’est Venturi, historique constructeur ligérien, aujourd’hui aux mains de l’extravagant mais passionné monégasque Gildo Pastor, qui est venu accrocher son nom au palmarès. Ainsi, en 2010, emmenée par l’américain Roger Schroer, la Buckeye Bullet s’en est allée frôler les 500 km/h sur le Lac Salé de Bonneville. Comme pour marquer un retour aux fondamentaux.

Mais l’idée que l’horizon de la vitesse terrestre soit désormais immuable ne semble pas convenir à tout le monde. Les deux derniers détenteurs du record, Richard Noble et Andy Green, ont en effet décidé d’unir leur talent et leur ténacité pour tenter de dépasser les 800 mph (1 287 km/h) au travers du programme Bloodhound SSC. Une tentative qui devrait se concrétiser dans un peu moins d’un an, avec le soutien de Rolex, jamais bien loin de ce genre d’aventures.

Gordon Crosby fut l'un des plus fameux dessinateur automobile. Il a notamment su parfaitement croquer les nombreux records du monde qui se sont succédés durant l'Entre-deux-guerres, comme l'attestent les illustrations qui suivent.

Gordon Crosby fut l’un des plus fameux dessinateurs automobile. Il a notamment su parfaitement croquer les nombreux records du monde qui se sont succédés durant l’Entre-deux-guerres, comme l’attestent les illustrations qui suivent.

 

 

 

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