007 Spectre, un James Bond résolument nostalgique

Gun Burrel James Bond

Qui pour mieux incarner de nos jours le syncrétisme entre ultra-modernité et attitude chevaleresque que James Bond ?

Le personnage de Ian Fleming doit en effet faire déjouer des entreprises terroristes toujours plus globales et perfectionnées, avec l’aide d’engins dernier cri et de gadgets technicisés. Pour autant, le héros – très – britannique se distingue de ses congénères américains, par une humanisation plus prononcée. Derrière son apparente infaillibilité se cache en effet une défectuosité qui le rapprocherait du héros romantique, comme l’attestent son penchant pour l’alcool, ses conquêtes féminines et la survivance d’un passé pesant. Une existence antithétique qui semble n’avoir jamais été aussi forte que dans Spectre, le dernier opus en date. Celle-ci se traduit par une nostalgie, à la fois sobre et prégnante tout au long du film, qui pourrait finalement apparaître comme le thème central de ce dernier.

Un cadre général empreint de mélancolie

Le générique de début tout juste lancé, le réalisateur Sam Mendes nous invite à regarder dans le rétroviseur avant une scène d’ouverture tonitruante à Mexico. Y défilent de nombreux « méchants » et autres personnages clefs disparus – notamment « M » interprété par Judi Dench -, qui ont marqué la saga. Un flashback également proposé à la fin du film, alors que James Bond tente de s’échapper du mythique SIS Building définitivement détruit pour l’occasion, après avoir été laissé à l’abandon dans Skyfall (2012).

 

Peut-être involontairement, un autre lieu constitue un clin d’œil au passé de l’aventurier. Il s’agit de l’Ice-Q, dans les Alpes autrichiennes, dont l’analogie avec le fameux Piz Gloria suisse visible dans Au service de sa Majesté (1969) est frappante.

Plus généralement, c’est la photographie du film, remarquable, qui joue un rôle prépondérant dans cette impression de mélancolie. Solitaire sur sa barque dans la brume du lac Altaussee ou en vagabondage à bord de l’Oriental Desert Express au Maroc, ces scènes s’avèrent être de véritables respirations, incitant à la rêverie.

 

Plus inspirantes encore sont les vues plongeantes et crépusculaires de Tanger. Un bel hommage à cette ville au statut si particulier dans le monde. Si elle a notamment cristallisé les tensions entre les puissances occidentales dans la conquête coloniale au début du XXème siècle, découlant en 1905 sur la « Crise de Tanger », qui fut le point de départ de l’escalade guerrière menant à la Première Guerre Mondiale, elle a surtout inspiré les plus grands auteurs, durant l’Entre-deux-guerres. Des français Joseph Kessel, Paul Morand, Roland Barthes ou Marguerite Yourcenar aux américains Tennessee Williams, Truman Capote, Jack Kerouac et Paul Bowles, représentants de la fameuse Beat Generation, la ville jouit d’une intense histoire culturelle.

Et même la traditionnelle course-poursuite prend ici une dimension délicieusement romanesque, en empruntant tour à tour les ruelles des abords de la Place Saint-Pierre puis les rives du Tibre, dans le clair-obscur de la nuit romaine.

Automobile et horlogerie, illustration de l’entre-deux entre modernité et attachement au passé

On connaît l’importance de l’objet automobile dans l’univers de James Bond. Une marque est tout particulièrement liée au personnage : Aston Martin, qui profite de chaque série pour présenter sa dernière-née. Cette fois, il s’agit de la somptueuse DB10 qui affronte donc dans une vigoureuse confrontation sur les pavés romains, la tout aussi spectaculaire Jaguar C-X75. Un hommage aux fleurons de l’industrie automobile britannique en somme, qui rappelle le duel entre Aston Martin Vanquish et Jaguar XKR dans Meurt Un Autre Jour (2002). Les gadgets en moins. En effet, treize ans plus tard, il est intéressant d’observer l’épuration de cette course folle. Là où Pierce Brosnan s’était transformé en maître artificier avec son bolide, Daniel Craig doit composer avec une DB10 mal préparée. Tous les subterfuges essuient de cuisants échecs, jusqu’à ce qu’un bon vieux siège éjectable lui permette finalement de s’extirper de sa fâcheuse posture.

 

De plus, on constate également que pour chaque présence d’un véhicule moderne, il faut compter sur une représentante d’un passé plus ou moins lointain. Comme pour satisfaire une volonté de contrebalancement entre passé et modernité. Ainsi, lorsque les adversaires de Bond s’échappent de l’Ice-Q, c’est à bord des derniers Range Rover Sport SVR. Mais ceux-là sont escortés par d’inaltérables Defender, modèle qui fait le bonheur des amateurs de tout-terrain depuis plus de trente ans, dont la carrière devrait hélas toucher à sa fin ces prochains mois. Plus significative encore est la scène se déroulant dans le désert marocain où James Bond et Madeleine Swann sont amenés au centre névralgique de l’organisation criminelle à bord d’une luxueuse Rolls-Royce Silver Wraith de 1948, alors que l’on découvre un peu plus tard que des Mercedes G63 AMG étaient pourtant disponibles pour fendre le désert avec plus d’aisance.

Mais cette situation est en fin de compte plus explicitement illustrée par la scène finale où les deux protagonistes évoqués précédemment nous quittent à bord de la mythique DB5 grisé métalisée, symbole ultime de l’épopée « James Bondienne », dans une sorte d’adieu qui ferait presque oublier la DB10.

 

 

Niveau horlogerie, si la production est restée fidèle au suisse Omega – depuis maintenant 20 ans – elle a fait une petite incartade par rapport à ses choix passés. Fini les montres sports tout acier. Cette fois-ci, Daniel Craig arbore une superbe Seamaster 300 à bracelet Nato. Séduit par cette réédition d’un modèle de 1957, l’acteur la porte également à la ville. Une option résolument vintage des plus judicieuses.

La sape, classicisme versus tendances modernes

Pour aborder l’aspect vestimentaire maintenant, il convient de préciser que Tom Ford est l’habilleur attitré de James Bond depuis Quantum Of Solace (2008), succédant au prestigieux italien Brioni. Une transition que l‘on tendrait à déplorer, tant on sait la maison américaine, sous la férule de son créateur, très axée sur le marketing provocateur et la mouvance porno chic du début du XXIème siècle. Toutefois, quand bien même le nom de Brioni résonne particulièrement dans l’univers tailleur, nous pouvons nous consoler en constatant qu’avec l’entrée de cette dernière maison dans le giron de Kering (ex-PPR) en 2012, elle semble connaître un sort comparable à celui de Berluti depuis son arrivée dans le groupe LVMH un an plus tôt. A savoir, la transformation d’un spécialiste reconnu internationalement – tailleur pour l’un, bottier et maroquinier pour l’autre –, en une énième maison de luxe généraliste. L’identité évaporée, le charme opère moins.

 

Si les répercussions de ce changement demeurent en apparence discrètes, on remarque toutefois à y regarder de plus près que James Bond matérialiserait finalement une sorte de choc des cultures sartoriales, illustré dans une scène particulière. Alors qu’il emmène avec verve sa DB10 sur les routes romaines pour assister à un enterrement dans le vénérable cadre du Musée de la Civilisation romaine, on peut remarquer qu’il arbore pour cette occasion un costume sombre, avec une veste droite deux boutons – un choix plutôt anglais – dotée de revers larges à crans aigus, agrémentée d’une pochette pliée négligemment – une inspiration clairement italienne. Dans la continuité de cette dernière, sa chemise blanche est munie de poignets « napolitains ». Toutefois, sa cravate, noire, est quant à elle rattachée à un pin collar, pour sa part très britannique. Un bien curieux brassage des genres, dont l’incohérence pourrait s’avérer être le point noir stylistique de cet opus à l’ambiance envoutante et délicatement nostalgique, qui fait le plus grand bien !

 

Aston Martin DB5, symbole ultime de James Bond.

 

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