
L’historien John Hutchinson nous rappelle que Leicester City avait échoué à la deuxième place du championnat anglais lors de la saison 1928 / 1929. Une performance due notamment à son légendaire buteur, Arthur Chandler, auteur de 34 réalisations cette année-là.
Longtemps coutumier du phénomène d’ascenseur entre première et deuxième division, Leicester City faisait partie de ces clubs typiques du football britannique, à l’aura populaire certaine malgré un palmarès circonscrit, jusqu’à cette année historique auréolée d’un premier titre de champion.
En s’assurant de finir major au terme de cette saison 2015 / 2016 du championnat d’Angleterre, Leicester City a, en plus de déjouer les pronostics, contrecarré les idées reçues concernant l’hégémonie d’une poignée de grosses écuries sur le football moderne. Cette première couronne dans l’élite anglaise pour cette Blue Army largement centenaire, serait finalement celle d’une ribambelle d’acteurs peu épargnée dans leur carrière footballistique.
Une entrée délicate dans le XXIème siècle
Après une histoire plutôt paisible tout au long du XXème siècle, Leicester City a connu un tournant à partir de 2010. Enlisé en Championship (Division 2), faisant même un passage en League One (Division 3) lors de l’exercice 2008 / 2009, voilà que Vichai Srivaddhanaprabha, richissime thaïlandais dont la fortune est estimée à 2,6 milliards de dollars, décide de s’offrir le club de cette cité du centre de l’Angleterre, d’une population équivalente à celle d’une ville comme Nantes. D’aucuns ont cru à un énième caprice, résultat de l’hubris d’un milliardaire en mal d’adrénaline. Il faut dire que trois ans plus tôt, c’était Manchester City qui devenait le temps d’une terne saison, le nouveau jouet d’un autre ressortissant thaïlandais, particulièrement controversé, l’ancien Premier Ministre Thaksin Shinawatra.
Une analogie justifiée tant les résultats sont longtemps restés à la peine du côté de Leicester, malgré l’arrivée d’une manne financière conséquente. La patte du nouveau propriétaire s’est avant tout manifestée au niveau communicationnel. En plaçant à sa barre la femme d’affaire Susan Whelan, pur produit de l’empire commercial du maître, le club devait devenir une vitrine internationale gigantesque pour les différentes entreprises du groupe, à l’image de King Power, devenue sponsor principal en même temps que nouvelle dénomination du stade, érigé en 2002.
Le retour dans l’élite a été assuré à l’issu de la saison 2013 / 2014, laissant le champion du Duty free divulguer ses grandes ambitions : « On veut maintenant rester le plus longtemps possible en Premier League et devenir un membre du top 5 du pays. Le chemin est encore long, on ne peut pas y arriver tout de suite. On se fixe trois ans pour atteindre ce but. S’il faut dépenser 180 millions, je suis prêt à le faire. » Une folie des grandeurs qui ne présageait pas nécessairement un avenir radieux, mais qui fut en fin de compte éludée par une sagesse judicieuse appuyée d’un pragmatisme ingénieux ; pas de transferts clinquants, simplement l’arrivée de joueurs déterminés et généreux.
- Vichai Srivaddhanaprabha, roi du Duty free et propriétaire de Leicester City, peut savourer la saison de son club. À son poignet une Patek Philippe Nautilus.
- Également grand amateur de garde-temps, comme le montre la Blancpain Equation Marchante Pure de la collection Villeret visible sur cette photo, le contesté politicien thaïlandais Thaksin Shinawatra fut, quelques mois après avoir perdu le pouvoir, l’éphémère propriétaire de Manchester City en 2007…
- … avec l’insuccès qu’on lui connaît. Il faut dire qu’à y regarder de plus près, l’effectif était encore bien éloigné de sa densité actuelle ; outre un Joe Hart encore juvénile, on pouvait voir dans l’entrejeu une charnière composée de Gelson Fernandes – aujourd’hui titulaire au Stade Rennais – et d’un Dietmar Hamann à bout de souffle ou encore un duo d’attaque Elano – Vassell assez quelconque.
Surprise confirmée ou éphémère ?
Le maintien difficilement obtenu, l’humilité restait de mise à l’aube de cette saison 2015 / 2016. Comme le rappela le propriétaire du club, devenu plus clairvoyant, à son nouveau coach italien Claudio Ranieri, il convient avant tout de « survivre ». Cela tombe bien, l’effectif ressemble tout bonnement à un rassemblement de rescapés du foot, toutes générations confondues. Ce qu’illustre parfaitement ce florilège des joueurs clefs de l’équipe :
- Kasper Schmeichel (1986) : le gardien danois, arrivé en 2011, débuta avec un lourd fardeau sur les épaules : son nom. Son père, Peter, n’est autre que l’un des meilleurs gardiens des années 90 ainsi qu’une icône du côté d’Old Trafford. Un destin que Schmeichel « fils », devenu une valeur sûre, pourrait finalement connaître du côté de Leicester, après avoir égrené les équipes de divisions inférieures anglaises.
- Mark Schwarzer (1972) : incroyable longévité pour ce gardien de 43 ans qui intégra l’effectif des Foxes en début de saison. Sur le banc ou dans les bois, l’australien fit toujours l’unanimité grâce à son professionnalisme, loué dernièrement par José Mourinho lorsqu’il suppléait Thibaut Courtois dans les cages des Blues, il y a deux ans.
- Wes Morgan (1984) : à Leicester depuis 2012 après une longue expérience du côté de Nottingham Forest, le rock jamaïcain fut à la hauteur de sa responsabilité de capitaine au cours de cette saison de sacre.
- Robert Huth (1984) : grand espoir allemand lorsqu’il débarqua à Chelsea à tout juste 18 ans, l’appréhension du style de la Premier League lui nécessita néanmoins du temps. Ce que lui offrit Stoke City pendant six saisons. Cette année, son mètre 91 fut même un atout offensif, en atteste son doublé contre Manchester City lors de la 25ème journée.
- Christian Fuchs (1986) : alter ego de Simpson sur le flanc gauche de l’équipe, l’autrichien, cadre de la wunderteam avec presque 80 sélections, arriva cette saison en provenance de Schalke 04.
- Danny Simpson (1987) : formé à Manchester United, l’arrière latéral droit peina à s’imposer dans la nuée de clubs au sein desquels il traîna ses guêtres – hormis Newcastle United qui lui offrit un peu de répit – avant de s’épanouir cette saison avec Leicester City.
- Danny Drinkwater (1990) : autre Danny formé à Manchester United et qui trima pour trouver la stabilité, sa solide saison lui ouvrit les portes des Three Lions en mars dernier à l’occasion d’une confrontation avec les Pays-Bas.
- N’Golo Kanté (1991) : la fulgurance de sa progression depuis ses débuts professionnels à Boulogne-sur-Mer en 2011 a fait l’objet du story-telling que l’on connaît. Infatigable dans l’entrejeu de la Blue Army, le parisien de naissance prit une incroyable dimension au point d’avoir toutes ses chances de valider son billet pour vivre l’Euro 2016 sous le maillot bleu, dans un secteur de jeu pourtant extrêmement concurrentiel.
- Marc Albrighton (1989) : grand espoir anglais à ses débuts avec Aston Villa, le milieu de terrain montra un niveau intéressant sous les ordres de Ranieri.
- Jamie Vardy (1987) : devenu professionnel sur le tard à 25 ans, ce joueur pas policé pour un sou, en témoigne sa folie brute sur le terrain – entre but extraordinaire face à Liverpool et frictions avec le corps arbitral contre West Ham – ainsi que ses frasques en dehors – beuverie et scandale dans un casino en juillet 2015 – connut une incroyable saison ponctuée de 24 buts en championnat, faisant jeu égal avec Sergio Agüero et son compatriote Harry Kane, au côté duquel il devrait être associé à la pointe de l’attaque anglaise cet été.
- Shinji Okazaki (1986) : ancien de Bundesliga arrivé cette saison, cette figure incontournable de la sélection japonaise (51 buts en 106 matchs depuis 2008), sut faire apprécier son infaillible sens du sacrifice.
- Leonard Ulloa (1986) : atterrit à Leicester en 2014 après des passages réussis dans des petits clubs espagnols et britanniques, l’argentino-chilien s’avéra être un très bon sub pour pallier les rares trous d’air de Vardy.
- Riyad Mahrez (1991) : également dans le club depuis deux saisons, le natif de Sarcelles fut incontestablement la surprise de l’année, au point d’être élu meilleur joueur du championnat par ses pairs. Il faut dire que le virevoltant ailier algérien constitua l’attraction majeure de son équipe.
- Mahrez et Vardy ont assurément constitué la doublette gagnante de l’attaque des Foxes.
- John Rudkin, directeur sportif et Claudio Ranieri, arrivé sur le banc en début de saison, accompagnent Susan Whelan, CEO du club depuis 2011.
Toutefois, n’est-ce finalement pas Claudio Ranieri qui caractérise le mieux cette notion de survivance. Si les bancs des clubs les plus prestigieux ne lui sont pas inconnus – de l’Inter Milan à la Juventus Turin en passant par Chelsea -, les trophées, eux, l’ont fui. Alors que beaucoup le pensait fini après avoir été éjecté assez injustement de l’AS Monaco – qu’il a permis de faire revenir dans l’élite française tout en assurant l’absorption de la nouvelle dimension prise par le club de la principauté sous la coupe de l’oligarque russe Dmitri Rybolovlev – et vécu une expérience aussi brève que catastrophique avec la sélection hellène, cette réussite avec Leicester City relève du miracle pour l’italien de 63 ans.
Mais si ces nouveaux héros ont su entretenir et confirmer la surprise chaque semaine, la réitération de cette performance lors du prochain exercice, qui passera d’abord par une stabilisation de l’effectif, revêt l’allure d’une chimère bien plus grande encore que la prédestination de leur victoire en août dernier.
Cependant, avant de noircir l’avenir du club, savourons ce moment de sport assez unique qui va contraindre un certain nombre d’acteurs à honorer toutes sortes de paris plus ou moins loufoques. Pensons à Gary Lineker, qui devrait présenter sa prochaine édition de Match Of The Day, diffusée sur la BBC, en caleçon, comme il le promit en cas de sacre de son club de coeur.

Gary Lineker reste incontestablement l’un des joueurs majeurs de l’histoire de Leicester City. Avant de briller du côté du FC Barcelone, le britannique a dépassé les 100 buts avec la tunique bleue sur les épaules, entre 1978 et 1985.




