
La « Lance » – dans la langue de Boccace -, a longtemps transpercé le cœur des amateurs d’automobiles. Il faut dire qu’entre audace technique, stylistique et réussite sportive, la matière pour forger un mythe à l’italienne comme on les aime était dense. Hélas, depuis plus de deux décennies, celui-ci n’est relégué qu’au statut de relique.
Vincenzo Lancia a tout juste 25 ans lorsqu’il fonde son entreprise en 1906. Ce fils de bonne famille, dont le père est un prospère industriel installé dans le nord de l’Italie, se prend de passion dès le plus jeune âge pour la mécanique, démontrant dans ce domaine des prédispositions étonnantes. Celles-ci retiennent l’attention de Giovanni Ceirano, autre explorateur de l’objet automobile de l’autre côté des Alpes, dont l’activité peut être rattachée à la naissance de FIAT (Fabbrica Italiana Automobili Torino) à l’aube du XXème siècle. Le jeune Vincenzo se retrouve intégré au projet en qualité d’apprenti-mécanicien. De là naît le premier lien entre les deux grands constructeurs turinois, qui se retrouveront les années 70 approchant.
- Les premières Lancia qui ont jalonné l’émergence de la marque :

Calandre de la Lancia Alpha (1907), première-née des ateliers de Vincenzo Lancia.
- Lancia Beta (1909) : son succès certain permit à la firme de croître rapidement.
- Lancia Epsilon (1911) : classique et performante, elle confirma la bonne réputation que commençait à se faire le constructeur italien.
- Lancia Theta (1913) : basée sur le dessin d’un autocar, elle connut un fort succès populaire comme en attestent ses 1 700 exemplaires produits.
- Lancia Kappa (1919) : sa ligne annonça le virage sportif de la marque.
- Lancia Lambda (1921) : son 4 cylindres en V à très faible angle (22°) contribua au caractère singulier de ce modèle phare de la marque.
Lancia & C. Fabbrica Automobili, l’innovation dans ses gènes
Dès le départ, Lancia s’inscrit dans une quête de performance. L’Epsilon et la Theta permettent ainsi de franchir allègrement la barre des 100 km/h, ce qui est assez remarquable pour des voitures de grand tourisme de cette époque.
Mais il ne s’agit pas de la seule voie qui guida Vincenzo Lancia dans l’élaboration de ses créations qui se sont également distinguées par leur confort. En ce sens, la Lambda et ses suspensions indépendantes, proposée en 1921, se présente même comme révolutionnaire. Une idée qui serait venue à l’esprit de l’industriel alors qu’il franchissait les difficiles routes de montagne menant à la résidence secondaire familiale perchée dans le relief alpin, en compagnie de sa mère.
Une double ambition qui restera le leitmotiv de la marque, dont le succès ne cesse de croître à partir des années 30. Hélas, la disparition prématurée de son fondateur à 55 ans, ne lui permettra pas de l’apprécier.

À l’instar d’un célèbre argentin ou d’un plus contemporain australien, Vincenzo Lancia ne s’est pas seulement fait remarqué dans les ateliers piémontais. Il courut également au volant de FIAT au cours de différentes courses d’endurance ou de côte. Sa carrière fut toutefois brève, puisqu’elle s’interrompit dès 1909, préférant s’adonner exclusivement à l’établissement de son entreprise.
- Quelques belles qui ont fait la réputation de Lancia en matière de luxe, de confort et de performances dans les années 30 :

Lancia Artena (1931) : érigée comme le haut de gamme de la marque, cette imposante berline a brillé par sa fiabilité. On lui prête ainsi la prouesse d’avoir été la première voiture à franchir les 100 000 km sans révision.
- Lancia Astura Convertible Aerodinamico Lungo A2 (1936) : sa ligne somptueuse et son V8 de 3 litres assit le prestige de la marque. Le gouvernement fasciste italien comme le Vatican s’en entichèrent.
- Lancia Astura MM (1934) : dédiée aux Mille Miglia, son manque de puissance la contraignit à ne faire que de la figuration.
- Lancia Aprilia (1936) : excellente routière capable d’offrir même un peu de sportivité, elle resta l’une des belles réussites de la marque dans les années 30.
- Lancia Aprilia MM (1938) : toujours l’oeuvre de Gian Battista « Pinin » Farina qui la façonna pour les Mille Miglia. Elle s’y comporta avec plus de réussite que l’Astura.
- Lancia Ardea (1939) : déclinaison plus compacte de l’Aprilia, l’Ardea en conservait les qualités routières.
- Lancia Ardea Sport (1950) : jolie barquette de seulement 600 kg, elle séduisit quelques pilotes de courses de côte.

Lancia Astura Lince Blindo (1942)
Un acteur majeur de l’élégance italienne post-WWII
Lancia a joué un rôle important pour l’armée italienne à l’occasion des deux grands conflits mondiaux, en déclinant notamment des camions et autres automitrailleuses par le biais de sa branche Lancia Veicoli Speciali. Une dimension pas vraiment glamour dans laquelle le constructeur excella pourtant. Lancia ne s’en départira qu’avec l’intégration de la marque dans le groupe FIAT en 1969.
Mais c’est avant tout grâce à ses désirables voitures de grand tourisme que Lancia maintint au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et jusqu’au aux années 80, son glorieux rang acquis durant l’Entre-deux-guerres. Le tout, grâce au concours des plus grands stylistes du moment – Bertone, Touring, Ghia, Vignale, Votti mais surtout Zagato, Pininfarina et Giugiaro. D’importants témoins de ces époques se retrouvent par ailleurs régulièrement à la une de nombreuses ventes aux enchères et autres concours d’élégance.
- Quelques belles qui ont fait la réputation de Lancia en matière d’élégance dans les années 50-60 :
- Lancia Aurelia (1950) : ‘L’Affaire Tournesol’ de la saga Tintin l’a notamment rendue célèbre avec à son volant – prenez votre souffle – le téméraire ‘Arturo Benedetto Giovanni Giuseppe Pietro Archangelo Alfredo Cartoffoli dé Milano’.
- Lancia Flavia Convertible (1962) : de nombreux designers vinrent sauver la Flavia du naufrage esthétique provoqué par la version berline. Vignale proposa notamment cette élégante déclinaison cabriolet.
- Lancia Flavia Coupé (1963) : cette version coupé tout aussi réussie est cette fois l’oeuvre de Pininfarina.
- Lancia Flavia Zagato (1960) : enfin Zagato apporta sa patte si unique au modèle.
- Lancia Flaminia GT Touring Coupé 2.5 (1961) : carrossée par Touring, elle bénéficiait de la fameuse structure ‘Superleggera’ pour tenter de compenser un poids conséquent. Un dessein également poursuivit par l’adoption d’un bloc V6 qui la rendait cependant gloutonne.
- L’acteur italien Marcello Mastroianni adossé à une séduisante Lancia Flaminia Sport Zagato (1959)
- Lancia Appia Sport Zagato (1956) : une ligne craquante, un pétillant 4 cylindres en V, elle avait tout pour plaire.
Essai de la Lancia Aurelia B24 Convertible de l’animateur américain Jay Leno, grand collectionneur automobile.
Du panthéon sportif au déclin conformiste
L’absorption de Lancia par le groupe FIAT évoqué précédemment ne va pas porter atteinte à la si belle singularité de la marque. Du moins, pas dans l’immédiat. Lancia continua ainsi de proposer des véhicules remarquables à sa clientèle, tout en se montrant performante en compétition par le biais de la Scuderia Lancia. Cette dernière émergea discrètement dans les années 50 avec notamment comme fait d’armes d’avoir fourni à la Scuderia Ferrari la D50 victorieuse en 1956. Mais c’est au cours des décennies 70 – 80 qu’elle connaît son apogée, particulièrement en rallye, cumulant le record du nombre de victoires (10 titres dont 6 consécutifs) en plus d’un impact incomparable sur la discipline avec ses divas du Groupe B.
Une vidéo qui montre en action les divas en question : Delta S4, 037, ECV… Cette dernière, avec son bloc 1.8 de 600 ch pour seulement 930 kg, symbolise la folie du turbo dans les années 80. Alors qu’elle devait courir en Groupe S – qui devait succéder au Groupe B – les nombreux accidents qui touchaient cette classe hors norme contraignirent la FIA à enterrer le projet.
- Quelques noms et numéros que le fondateur de Lancia n’aurait certainement pas reniés tant ils sont synonymes de summum mécanique :

La Lancia Fulvia HF (1963) a lancé la fabuleuse histoire de la ‘Scuderia’ devenue ‘Squadra Corse’ en rallye en s’imposant sur tous les continents dans les années 60.
- Lancia Beta Coupe S1 (1974)
- Dans ses versions courses, la Beta Coupé ne goûta que peu le succès.
- Ce qui ne fut pas le cas de la Lancia Beta MonteCarlo (1975)
- Sa version Turbo Groupe 5 fut en effet sacrée championne du monde de sa catégorie en 1980 et remporta les 24 Heures du Mans l’année suivante (huitième au classement général).
- L’impressionnante ligne du prototype Lancia Stratos Zero Concept présenté au Salon de Turin 1970 est dûe à Nuccio Bertone.
- Muée par le V6 de la Ferrari Dino 246 GT, la Lancia Stratos Stradale fut la version routière, mais non moins radicale, produite pour homologuer le modèle en compétition.
- En championnat du monde de Rallye, la magnifique Stratos de la Squadra Corse, accumula 17 victoires entre 1974 et 1979.
- La Stratos s’imposa également sur route avec cette bestiale déclinaison, toujours aux couleurs de la compagnie aérienne ‘Alitalia’. Elle se distingua avec deux victoires lors des éditions 1976 et 1977 du Tour d’Italie.
- Malgré quelques victoires en championnat du monde des voitures de sport, la Lancia LC1 a totalement déjoué lors des 24 Heures du Mans 1982 et 1983.
- Bien que plus longue, la carrière de la LC2, qui reprend la superbe livrée Martini Racing de sa devancière, n’est pas vraiment plus étincelante. Outre quelques victoires sporadiques, le bolide ne fit pas mieux qu’une sixième place sur le circuit manceau en 1985.
- À l’instar de la Stratos Stradale, la version routière de la 037 reste un objet particulièrement convoité par les collectionneurs.
- La somptueuse 037 Martini Racing était redoutable. Elle ne quitta ainsi jamais le podium final du championnat du monde de Rallye entre 1983 et 1986.
- Règlement oblige, la Delta S4 a eu le droit à sa déclinaison ‘Stradale’ en 1983.
- Incontestablement la Groupe B à la sonorité la plus démoniaque. Les 465 chevaux de la bête l’ont hissée aux sommets en 1985 et 1986.
- La première Lancia Delta a été produite en 1979. Mais c’est avant tout sa version Integrale présentée à la fin des années 80 qui marqua le plus les esprits.
- La Delta HF Integrale perpétua la réussite de Lancia en rallye, cette fois en Groupe A, jusqu’au début des années 90. Hélas, ces dernières victoires s’avérèrent crépusculaires pour Lancia.

La Lancia Thema 8.32 et son fameux V8 Ferrari hérité de la 308, fut la dernière Lancia digne de son blason. Si sa ligne n’est pas tout à fait irrésistible, l’agrément de son moteur et son confort en font une berline remarquable. La fin de sa production décidée en 1992 coïncida avec l’effondrement de la marque.
Hélas, cette indépendance inespérée et réjouissante n’aura de cesse de s’amenuiser au fur et à mesure que les difficultés grandiront du côté de la maison-mère FIAT, de plus en plus décriée pour sa faiblesse de fabrication et son manque d’inspiration. Le tournant de la globalisation sied mal au groupe turinois qui s’engage dans des processus hasardeux. La crise traversée conduit au délaissement de Lancia qui finit d’être achevée par le contre-nature syncrétisme culturel opéré avec l’association entre Fiat et Chrysler. Cette dernière donna lieu à quelques abominations qui ont dû faire saigner les yeux et le coeur des plus fervents lancistes :
- La raison de vivre du Lancia Voyager serait de raviver la flamme du massif monospace américain, lancé au début des années 80, dans nos contrées. On s’en serait bien passés. © Lancia
- La Lancia Flavia du XXIème siècle, vulgaire adaptation de la Chrysler Sebring, n’a atteint qu’un seul objectif : souiller le nom d’un modèle séduisant des années 60. © Lancia

En 2006, la surprenante Thesis est venue célébrer le centenaire de la marque. Une création qui mérite d’être saluée tant son confort était à la hauteur en même temps que sa ligne dénotait de tout ce qui se faisait alors.
À une époque où une certaine standardisation d’influence germanique a envahi une part majeure du secteur automobile, peu de motifs d’espoir se présentent à nous pour recouvrer l’originalité délicieuse de cette maison immense, emblème de l’apport du génie italien dans l’histoire automobile.
Et ce, malgré la volonté d’âmes audacieuses. En effet, au début des années 2010, l’allemand Michael Stoschek, qui a fait fortune dans la vente de pièces détachées automobiles, lançait le concept New Stratos. Il s’agissait d’une réinterprétation moderne de la championne des seventies, sur la base d’une Ferrari F430, avec la collaboration du bureau Pininfarina. Si le projet n’a pas abouti dans un premier temps, il a été repris en 2018 par la firme MAT (pour Manifattura Automobili Torino) et découla sur la production de 25 exemplaires vendu un demi-million d’euros l’unité ; la survivance d’un mythe n’a pas de prix !



































