Pas de moral(e) pour le football français ?

« Tout ce que je sais de plus sûr à propos de la moralité et des obligations des hommes, c’est au football que je le dois. »

Cette citation d’Albert Camus – spectateur avisé et gardien de but durant sa jeunesse algérienne – largement rebattue depuis lors, a pourtant inéluctablement rejailli dans les esprits en cette funeste soirée pour le football français. Si la « moralité des hommes » n’en est pas sortie grandie, force est de constater que c’est avant tout parce que certaines « obligations » n’ont pas été assurées.

L’étincelante partition parisienne du match aller a été brutalement balayée par le chaos systémique attisé avec véhémence par l’entreprise vicieuse des joueurs barcelonais. Le règne du Tiki-Taka, certes très dogmatique mais capable de générer une formidable oeuvre footballistique dès lors qu’aucun grain de sable ne venait enrayer cette délicate mécanique, paraît ancestral. L’hégémonie de ses artisans, aussi. Messi est désormais orphelin de Xavi et subit l’inexorable déclin d’un Iniesta aux fulgurances désormais sporadiques. Quant à Sergio Busquets, il semble dorénavant exclusivement habité par la perversité. Voir cette belle tunique Blaugrana épouser la vilenie a tout de l’épreuve. Car il ne s’agit pas là de la filouterie consubstantielle à n’importe quelle joute de très haut niveau. Non. On a affaire ici à la bassesse érigée en art. Plus concrètement, celle-ci a pris la forme d’un concours de plongeons et de simagrées largement dominé par les figures de Neymar Jr. et Luis Suárez. Si l’idée de les cloitrer du côté de la piscine de Montjuïc n’a jamais paru si nécessaire, leur talent balle au pied légitime toutefois leur place sur le pré. Ce qui apparaît d’autant plus irritant, l’agacement provoqué tendant à prendre le dessus sur l’extase qu’ils sont capables de susciter ; le merveilleux coup franc du brésilien suffit à le prouver. Et si le Barça a réalisé l’exploit avant-hier soir, c’est bien la faute à ces deux acolytes et au poids qu’ils ont pu exercer sur les systèmes nerveux des joueurs d’Unai Emery… et des arbitres.

Naturellement, certaines explications émanent également du camp parisien. En faillant mentalement et collectivement, ce dernier a manqué à ses « obligations » et les coups tordus catalans ne peuvent suffire à expliquer ce renversement sans précédent. L’historique de la Ligue des Champions prédisait avant le match, 100% de chance de qualification en faveur du PSG. Une faute lourde donc. Cafouillages improbables dans leur propre surface, relances approximatives suivies de pertes de balles immédiates, fébrilité générale (hormis entre la 60ème et la 80ème minute, moment du sursaut), les griefs à opposer aux parisiens sont nombreux. Pis, ils ont été lâchés par le destin ; le poteau gauche de Ter Stegen s’est amouraché de Cavani en conclusion d’une contre-attaque modèle, Kurzawa a offert un bien vilain CSC aux barcelonais, Marquinhos et Meunier ont concédé deux généreux pénaltys quand Ángel Di María s’en est vu refuser un à la suite d’un contact avec son compatriote Javier Mascherano, qui a reconnu après le match avoir fait faute.

On pensait que le PSG avait enfin franchi ce palier psychologique, pulvérisé ce plafond de verre qui sépare les bonnes écuries du gratin européen. Il n’en est apparemment rien. Le séduisant Napoli en a lui aussi fait l’amère expérience la veille face à un laborieux mais réaliste Real Madrid. Il se pourrait que ce soit au tour de l’AS Monaco de déguster ce repas indigeste la semaine prochaine face à Manchester City. Une situation d’autant plus attristante que le football français retrouvait de belles couleurs depuis l’année 2016. On se plaisait à croire que le club parisien – enfin lancé après une transition estivale compliquée – et la rafraîchissante armada monégasque seraient en mesure d’atténuer la douleur tenace provoquée par le cataclysme national de cet été. Les dieux du football en ont voulu autrement, préférant prolonger le calvaire infligé au football hexagonal, décidé à boire le calice jusqu’à la lie.

Il est par ailleurs intéressant d’observer les quelques similitudes qui ressortent des parcours respectifs de ces équipes éclaboussées par ces deux catastrophes séparées de neuf mois seulement.

Comme l’équipe de France, le PSG s’est montré inquiétant dans sa préparation.

Comme l’équipe de France, le PSG s’est ensuite rassuré une fois la compétition entamée.

Comme l’équipe de France contre l’Allemagne, le PSG a brillé contre l’un des favoris.

Comme l’équipe de France, le PSG a en fin de compte joué sa finale avant l’heure.

Enfin, comme l’équipe de France crucifié par Eder, le PSG a été anéanti par un coup de patte du joueur qui semblait être le talon d’Achille de son adversaire, en l’espèce : Sergi Roberto, rentré en cours de partie.

Le PSG, c’est en fait cet éphèbe un peu naïf, sûr de sa force légitimée par quelques récents hauts faits, finalement terrassé par un rival rodé, éprouvé aux séances de tortures psychologiques que le football est capable d’asséner. Le philosophe Alain estimait que « l’idéal est toujours nettoyé d’un peu de réalité qui ferait tâche ». Avant-hier soir, cette tâche était bicolore : bleu et grenat.

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