8 juillet 1998 – Voilà le match qui consacre l’insubmersibilité du « Navire France ». La facilité du premier tour a laissé place à une zone tempêtueuse dont le paroxysme est atteint ici avec cette opposition face à la Croatie.
La première période de ce match laisse indubitablement penser que l’équipe de France a jeté trop de forces dans les intenses batailles qu’ont constitué les deux confrontations précédentes, de 120 minutes chacune. Pis, alors que l’on présume une remobilisation générale à la pause, les joueurs d’Aimé Jacquet se font immédiatement cueillir tout juste revenus sur la pelouse. Davor Šuker, intraitable attaquant du Real Madrid, profite en effet d’un mauvais alignement de la défense française pour se présenter seul devant un Fabien Barthez impuissant face à un tel sens du but.
Profitons-en pour revenir un instant sur cette équipe de Croatie, qui ne se trouve pas à ce niveau par hasard. Animée par l’excentrique Miroslav Blažević, entraîneur aux 25 clubs – dont le FC Nantes à la fin des années 80 – indissociable de son képi, cette jeune nation issue de l’éclatement de la Yougoslavie au début des années 90 est en effet façonnée pour venir titiller les ténors des grandes messes du football international. Pour leur première participation à la plus prestigieuse d’entre elles, les Vatreni se montrent extrêmement saignants. De Robert Prosinečki, ancien pensionnaire du Real Madrid et du FC Barcelone à Mario Stanić, qui contribue alors aux grandes heures de Parme, en passant par Zvonimir Boban, devenu au fil de ses dix années transalpines, une légende parmi les légendes du Milan AC ou encore Aljoša Asanović, de passage au Napoli après un début de carrière remarqué dans le championnat de France, leur talent est indiscutable. Sans oublier bien sûr, le redoutable Šuker, qui sera sacré meilleur buteur de la compétition, fort de ses six réalisations.
Cette digression, le camp français n’en a toutefois cure, puisqu’il réagit précisément une minute après ce cataclysme. Et ce, par l’intermédiaire d’un joueur qui a semble-t-il entendu capter toute la lumière ce soir-là : Lilian Thuram. Coupable sur l’erreur d’alignement qui couta le but, l’athlétique arrière droit a expliqué a posteriori s’être appuyé sur un élément bien particulier pour sonner la révolte. Pendant toute la partie, il fait en effet face au latéral gauche volant de l’équipe à damiers, un certain Mario Stanić justement. Son pendant sur les rives de la Parma. Provocateur, celui-ci tente de déstabiliser le français au sortir des vestiaires en lui assénant avec fatuité un lapidaire « Ce match est pour nous ». Ces paroles lui reviennent alors immédiatement et lui font pousser des ailes – offensives – que d’aucuns ne soupçonnaient alors.
Rageur, Thuram profite d’abord de la vista de Youri Djorkaeff pour venir crucifier Dražen Ladić dans sa surface. Ses déboires de la minute précédente sont irrémédiablement balayés. Une vingtaine de minutes plus tard, véritablement transcendé, acculant même dans sa moitié de terrain un Stanić bien malheureux d’avoir ouvert sa bouche à la mi-temps, il arrache un énième ballon qu’il expédie tout aussi promptement du pied gauche dans le petit filet d’un Ladić encore trop court. S’ensuit une célébration passée à la postérité, qui traduit parfaitement la dimension à la fois surréaliste en même temps que salvatrice de ce coup de patte mémorable.
De manière plus conceptuelle, on pourrait voir dans le déroulé de ce match historique une probante illustration du minutieux équilibre que doit trouver un sélectionneur pour constituer un groupe capable de soulever le trophée. Un accord qui doit se situer entre une approche holistique devant mener à l’unité inconditionnelle de l’équipe et celle plus individualiste, qui doit permettre dans des situations précises – le plus souvent désespérées – le salut de l’équipe par la voie d’un unique joueur capable d’outrepasser l’inertie du groupe. Un constat qui ne manquera pas d’être confirmé au stade suivant…
- Deux buts, les seuls que Thuram a marqué sous le maillot bleu frappé du coq. C’est aussi son total de buts sur ses dix années italiennes en clubs. Une rareté qui confère assurément une tournure surnaturelle à sa performance de la soirée.
- Davor Šuker, figure de proue d’une belle génération croate qui trouve un écho certain avec celle de 2018. Considérée comme un sérieux prétendant au titre, elle pourrait venir se mettre en travers de la route des français si ces derniers se débarrassaient de la diabolique sélection belge ce soir

Douée d’un talent technique indéniable, comme évoqué plus haut, cette équipe croate n’était pas non plus dénuée de vice. Slaven Bilić, ici au contact avec Laurent Blanc, l’a bien rappelé. En exagérant grossièrement l’impact d’un geste d’énervement du « Président », il scella l’absence de ce dernier en finale…

