1919, le Negroni envahit Florence

Le Comte Camillo Negroni, inventeur du cocktail éponyme

Le Comte Camillo Negroni, créateur du cocktail éponyme

Bien nommées, les Années Folles ont entendu faire la part belle aux plaisirs frivoles dans nos contrées occidentales, comme pour enterrer le traumatisme de la Première guerre mondiale. Cet état d’esprit fait de curiosité et de légèreté a considérablement modifié les différents champs de nos sociétés et notamment celui des festivités. Un nouveau « sens de la fête » symbolisé par l’émergence de nouvelles danses ou encore l’essor de l’art du cocktail (que l’on qualifierait aujourd’hui de « mixologie ») par exemple.

Un paysage inédit que n’ont pas manqué de dépeindre quelques grands écrivains de l’époque au travers de certaines de leurs œuvres, directement inspirées de leur existence décousue. On pense notamment à Francis Scott Fitzgerald avec Les Heureux et les Damnés (1922) et son célèbre Gatsby Le Magnifique (1925) ou à Ernest Hemingway avec Le Soleil se lève aussi (1926) et Paris est une fête (publié en 1964, mais qui relate la vie parisienne de l’auteur dans les années 20). Il n’est d’ailleurs pas étonnant que ce dernier, Prix Nobel de Littérature 1954 et voyageur infatigable, ait fait baptiser une variante d’un célèbre cocktail caribéen – le Daïquiri – à son nom, lorsqu’il écumait les tavernes de La Havane.

Mais retournons sur le Vieux Continent et plus particulièrement à Florence, en Italie. Outre par son patrimoine architectural – du Duomo au Ponte Vecchio en passant par les palazzi Vecchio et Pitti –, remarquable bien que le plus souvent étouffé par le tourisme de masse, il est aussi possible de goûter à l’atmosphère florentine si singulière dans la quiétude d’une terrasse de café. Il convient alors de ne prononcer qu’un seul mot, en dehors de ceux imposés par les règles élémentaires de courtoisie : « Negroni ». En retour, vous découvrirez un cocktail vif et chaleureux qui cristallise à lui seul l’enchantement que peut susciter la cité toscane.

Recette originale du NegroniL’histoire de ce cocktail, simple et spontanée, est désormais centenaire. En 1919, le Comte Camillo Negroni qui a ses habitudes au fameux Caffé Casoni – désormais remplacé par une tapageuse boutique Roberto Cavalli –, situé à quelques encablures du Ponte Santa Trinita, est lassé de ses habituels Americano. Le notable florentin propose alors à Fosco Scarelli, le barman du lieu, d’incorporer du gin, qu’il a découvert à l’occasion d’une escapade londonienne, en lieu et place de l’eau gazeuse. Le résultat est probant ! Le spiritueux aromatisé aux baies de genièvre vient temporiser l’amertume du bitter et émousser subtilement l’onctuosité du vermouth. Pour équilibrer le tout, les trois parties sont servies à quantité égale : 3 cl. L’orange quant à elle ne s’invite plus sous forme de zestes, mais par le biais d’une ou deux généreuses tranches. Et pour faciliter la commande de ce nouveau breuvage qui n’a plus grand chose à voir avec l’Americano original et qui connaît un succès certain sur les rives de l’Arno, Scarelli décide finalement de rendre hommage à son cher client en le renommant Negroni.

Né d’une variante d’un cocktail initial – comme c’est souvent le cas en la matière -, le Negroni a naturellement lui-même subi de nombreuses dérivations. La plus renommée étant le Negroni Sbagliato (littéralement « loupé »), qui voit le gin laisser sa place au prosecco, le rapprochant ainsi du Spritz. Mais cette curieuse appellation ne trahirait-elle plutôt pas une volonté sous-jacente de redonner son « italianité » à un cocktail devenu au tiers britannique ?

N.B. Depuis 2013, la Negroni Week se tient chaque année au mois de juin pour célébrer le cocktail italien. Les bars participant à l’événement partout dans le monde s’engagent à reverser les fonds récoltés pour chaque Negroni commandé au profit de différentes causes.

Orson Welles et Charlie Chaplin devisant dans un bar

Orson Welles, devisant ici avec Charlie Chaplin, ne troquait son fidèle whisky que contre un Negroni

 

Negroni del Marinaio au Mag Cafe, à Milan

Autre variante, le Negroni del Marinaio. Point de gin ici, le Campari et le vermouth sont cette fois accompagnés par 1 cl de Old Sailor Coffe – une liqueur à base de rhum et de café – et 1 cl de mezcal, spiritueux produit à partir de l’agave, comme la tequila ; des graines de café nagent également au milieu des glaçons et la tranche d’orange est séchée, pour un tout hautement parfumé. À déguster au Mag Cafè, à Milan

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