La « Perfide Albion » sur le toit de l’Europe

En plein Brexit, voilà que les finales des deux grandes compétitions européennes de football se sont vues trustées par quatre représentants du championnat anglais. Une situation unique, d’autant plus singulière que ces derniers brillaient au cours des saisons précédentes par leur absence au sommet de ces joutes continentales. Un constat qui incitait même à relativiser quelque peu le niveau du supposé « meilleur championnat du monde ». Les clubs en question – Liverpool, Arsenal, Chelsea, et Tottenham – ne se privaient d’ailleurs pas de feindre privilégier les titres nationaux, dans une posture typique d’outre-Manche.

 

Ce revirement pourrait s’expliquer par le couplage de l’aisance bien connue de ces équipes avec un retour de la stabilité dans leur effectif.

Les clubs anglais, forts de leurs conséquents subsides – entre richissimes propriétaires et droits TV démesurés notamment – évoluent en effet depuis plus de dix ans dans l’opulence. Le Big Six (extension du traditionnel Big Four auquel se sont greffés Manchester City et Tottenham) est d’ailleurs solidement campé dans le TOP 10 des équipes aux plus hauts revenus sur la saison passée. Ce que n’a pas manqué de souligner en avril dernier Erik ten Hag, l’entraîneur de l’Ajax Amsterdam, à l’occasion d’une petite passe d’armes qui l’a opposé à son homologue de Tottenham, Mauricio Pocchettino, qui se plaignait de son côté que son équipe ne bénéficiait pas du même nombre de jours de repos que son adversaire néerlandais, avant la demi-finale retour de la Ligue des Champions.

Cette puissance financière permet naturellement à ces clubs d’attirer des joueurs de premier plan. Début 2018, Arsenal s’attachait les services de Pierre-Emerick Aubameyang, qui intéressait pourtant le Real Madrid – comme bon nombre de joueurs cela dit – contre un peu plus de 60 millions d’euros. En terminant meilleur buteur du championnat (à égalité avec Mohamed Salah et Sadio Mané) et en cumulant 32 buts toutes compétitions confondues, le gabonais s’est montré à la hauteur des attentes placées en lui, contribuant largement à enjoliver la saison des Gunners. De même, Tottenham, en revalorisant Harry Kane à hauteur de presque 17 millions d’euros par an, s’est offert la possibilité de conserver son joyau pour une cinquième saison malgré les avances insistantes de la concurrence.

Cette richesse a pourtant paradoxalement un temps plombé le football anglais qui s’est longtemps complu dans un schéma d’empilement de joueurs-mercenaires grassement payés. Au sommet de ce drôle d’art, Chelsea a ainsi amassé 46 joueurs (en comptabilisant les prêts) au cours de la saison 2014/2015, après une valse de 28 arrivées et de 48 départs lors du mercato estival… Comment dans ces conditions tirer quelconque synergie, nécessaire pour renverser les montagnes qui s’érigent sur le chemin devant mener jusqu’à la « Coupe aux grandes oreilles » ?

La leçon a semble-t-il été comprise depuis puisqu’à titre de comparaison, Tottenham et son effectif de moins de 30 joueurs, n’a enregistré que trois arrivées contre quatre départs l’été dernier. Une stabilité bienvenue notamment portée, pour ne se référer qu’aux deux équipes qui se sont affrontées en finale de Ligue des Champions, par Jürgen Klopp et Mauricio Pocchettino, qui n’ont pas hésité à s’appuyer sur une ossature de joueurs britanniques. Une tendance qui n’avait alors plus vraiment cours ces dernières années outre-Manche.

Les joueurs anglais ont trouvé grâce aux yeux de Klopp et de Pocchettino. À Liverpool, le premier a beaucoup misé sur l’expérience de James Milner et de Jordan Henderson (ses deux capitaines) et l’audace de ses latéraux Trent Alexander-Arnold et Andrew Robertson. Le second a de son côté fait de Harry Winks, Danny Rose, Kieran Trippier, Harry Kane et Dele Ali des titulaires indéboulonnables du onze des Spurs

Ces deux entraîneurs dénotent également du fait de leur proximité avec leurs joueurs. S’ils ne sont sans doute pas de grands théoriciens du rectangle vert, ils se montrent, à la différence de « l’ordinateur » Guardiola par exemple, capables de mobiliser et de transcender l’intégralité de leur équipe à chaque instant crucial d’une compétition aussi exigeante que la Ligue des Champions. Ce n’est dès lors pas anodin que les protagonistes qui ont fait basculer les demi-finales n’étaient que des « seconds couteaux », de Divock Origi et Georginio Wijnaldum pour Liverpool à Lucas Moura pour Tottenham.

En ce sens, l’allemand et l’argentin ont su s’imprégner de la culture footballistique britannique, dans le sillage des Bill Shankly à Liverpool dans les années 60-70 et autres Sir Alex Ferguson à Manchester United de la fin des années 80 aux années 2000. Ces entraîneurs légendaires ont notamment acquis la réputation de savoir unir l’ensemble de leurs joueurs autour d’eux. Le célèbre écossais, qui a quitté le banc des Red Devils voilà maintenant six ans, ne s’adressait ainsi une fois entré dans les vestiaires, quasiment qu’exclusivement aux remplaçants. On pense alors irrésistiblement à la finale de la Ligue des Champions 1999 que renversa incroyablement Ole Gunnar Solskjaer, le plus fameux des supersub, dans ce qui a été baptisé le Fergie Time.

Une méthode, une vision, qui n’est pas sans rappeler celle d’un autre entraîneur, français cette fois, qui a connu le même succès cet été.

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