1920, centenaire du visionnaire Asimov

Isaac Asimov (1920 – 1992) est incontestablement l’un des grands noms de la science-fiction. Dans l’inconscient collectif il est la science-fiction. Ce genre littéraire à part entière, que l’on associerait peut-être trop trivialement à une spécialité pour nerds complètement hors-sols, est en fait centré autour d’une seule préoccupation : l’adaptation perpétuelle de l’Être humain au progrès technique.

Si Asimov voue un culte à la science, qui est selon lui la seule discipline qui a su apporter des réponses aux questions qu’il a pu se poser depuis sa plus tendre enfance, il ne manque cependant pas de l’éclairer du faisceau des sciences humaines, au travers de ce qu’il a qualifié de « psychohistoire ». Une relation effectivement perceptible dans son oeuvre à travers par exemple son concept « d’Empire galactique » qui, bien « qu’extra-terrien », n’accueille que des humains qui se comportent comme tels. De même, il est intéressant de constater que la chute de cette entité globale se trouve finalement causée par des facteurs comparables à ceux qui ont pu provoquer celle de l’Empire romain en son temps, à savoir l’enrayement d’une bureaucratie surdéveloppée, l’inertie grandissante et le manque d’esprit d’initiative pouvant en découler, ainsi que la baisse de la curiosité des individus.

Pape de la vulgarisation scientifique – son écriture se doit d’être simple afin de ne garder que l’esprit des sciences -, sa formulation des « trois lois de la robotique » dans sa nouvelle Runaround (1942), dont il partage la parenté avec John W. Campbell, conserve encore aujourd’hui une pertinence et une aura inaltérables.

L’automobile – ou ce qu’il en reste – galope vers sa dérivation autonome. Une évolution qui confronte les constructeurs aux questions éthiques reliées aux lois explicitées par Asimov (voir ci-dessous). On se souvient d’ailleurs du tollé provoqué par Mercedes-Benz lorsqu’en 2018, alors en pleine conception de ses taxi-robots en collaboration avec Bosch, le constructeur allemand affirmait vouloir privilégier un algorithme qui protégerait la vie de ses passagers, plutôt que celle des piétons. Tout un programme.

  • Première Loi : « Un robot ne peut porter atteinte à un être humain ni, restant passif, laisser cet être humain exposé au danger. » ;
  • Deuxième Loi : « Un robot doit obéir aux ordres donnés par les êtres humains, sauf si de tels ordres sont en contradiction avec la Première Loi. » ;
  • Troisième Loi : « Un robot doit protéger son existence dans la mesure où cette protection n’entre pas en contradiction avec la Première ou la Deuxième Loi. »

Plus qu’une simple théorie scientifique, il s’agit pour Asimov d’un véritable levier d’intrigue et de narration qu’il développe et façonne au fur et à mesure que son oeuvre s’étoffe. Tant est si bien qu’à la fin des années 80, il estime nécessaire de compléter son théorème d’une « Loi Zéro », en vue de contrer les destinées néfastes qui s’offraient à chaque robot. Cette dernière loi, énoncée dans Foundation and Earth (1986) et Prelude to Foundation (1988) prévoit ainsi « qu’un robot ne peut pas porter atteinte à l’humanité, ni, par son inaction, permettre que l’humanité soit exposée au danger. »

Outre cette trace indélébile laissée dans le domaine de la robotique, sa notoriété s’est encore davantage renforcée ces dernières années depuis que le New York Times a republié une interview donnée par l’auteur russo-américain en 1964, en marge de l’Exposition Universelle de New-York.

Le journaliste – préméditant la volubilité de l’auteur – lui demanda alors comment il imaginait la vie sur Terre cinquante ans plus tard. S’ensuivit une énumération d’exposés de diverses situations, articulées autour de deux grandes problématiques qui ne manquent forcément pas d’échos aujourd’hui :

  • La pression démographique : l’agriculture traditionnelle se retrouvera dans l’incapacité de s’adapter à cette croissance incessante de population, d’où la nécessité selon lui d’imaginer de nouveaux types d’alimentations basés sur des micro-organismes notamment, anticipant déjà en disant cela, la barrière psychologique que cela pourrait occasionner chez les individus.
  • La servitude de l’Homme au progrès technique : la course effrénée animant ce dernier phénomène accroîtra le fossé séparant les individus étant en mesure d’en profiter, de ceux qui en seront exclus, qui connaîtront alors une dégradation de leurs conditions de vie.

    Délibérément ou non, Isaac Asimov plante d’une certaine manière le décor du quelque peu manichéen Métropolis (1927) de Fritz Lang, lui-même inspiré de l’univers futuriste

    Cet asservissement sera également tangible via l’automatisation du travail, qu’il identifie déjà comme nuisible, voire fatale pour la psyché des individus.
    Asimov, pourtant loin d’être technico-sceptique, est amené par ses réflexions à conclure abruptement que « l’humanité souffrira sévèrement d’ennui, un mal se propageant chaque année davantage et gagnant en intensité. […] Les rares chanceux qui auront un travail créatif seront la vraie élite de l’humanité, car eux seuls feront plus que servir une machine. L’hypothèse la plus sombre que je puisse faire pour 2014 est que dans une société de loisirs forcés, le mot travail sera le plus valorisé du vocabulaire ! ». Une sorte de prédiction du phénomène du Bullshit Jobs explicité de manière corrosive et peu nuancée par l’anthropologue David Greaber au début des années 2010.

 

Un regard somme toute affûté qui rappelle que fiction et réalité peuvent parfois entrecroiser leur chemin.

 

 

Asimov connaît ses premiers succès alors qu’il effectue son service militaire en pleine Seconde guerre mondiale, au sein du Philadelphia Naval Shipyard, le plus important chantier naval des Etats-Unis. Là-bas, il se lie d’amitié avec Lyon Sprague de Camp et Robert A. Heinlein – qui l’entourent sur la photo – et qui deviendront également deux grands auteurs de science-fiction. © John Seltzer & Geo Rule

 

 

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