« Le Dakar est mort, vive le Paris-Dakar »

Après une première victoire en 1987 avec une Peugeot 205 T16, Ari Vatanen s'est octroyé les éditions 1989 et 1990 au volant de cette Peugeot 405 T16. Il ajoutera un dernier sacre à son palmarès l'année suivante à bord d'une Citroën ZX Rallye-Raid

Après une première victoire en 1987 sur Peugeot 205 T16 Grand-Raid, Ari Vatanen s’est offert deux sacres consécutifs en 1989 et 1990 au volant de cette Peugeot 405 T16 Grand-Raid. Il ajoutera une dernière victoire à son palmarès l’année suivante à bord d’une Citroën ZX Rallye-Raid, marquant durablement le Paris-Dakar

La quarantième édition du Dakar s’est une nouvelle fois achevée dans la plus grande discrétion. Une constante depuis quelques années. L’épreuve a pourtant longtemps fait office de graal dans l’univers du rallye-raid. Des causes à la fois endogènes et exogènes semblent avoir alimenté ce déclin.

Le Dakar ne fait plus parler de lui. En tout cas plus de manière méliorative. Profondément marqué du sceau de l’hubris, une disqualification effrénée l’étreint un peu plus chaque année. Anachronique pour son impact environnemental, indécent pour sa débauche de moyens étalée au vu et au su des oubliés de la globalisation, mortalité régulière ; les griefs ne manquent pas.

Il fallut bien un soupçon de mégalomanie à Thierry Sabine pour se lancer dans ce projet pharaonique à la fin de l’année 1978. Mais c’est avant tout une inextinguible soif d’aventures en plus d’une passion avérée pour l’Afrique qui animèrent l’organisateur français dans cette idée folle, quoique pas tout à fait inédite puisque c’est au cours d’une spéciale du rallye Abidjan-Nice, deux ans plus tôt, qu’il est pris d’une illumination, alors qu’il s’est perdu à moto dans le désert libyen : il lui faut organiser son propre rallye, dans ce décor unique.

Les premières éditions relèvent rapidement de l’odyssée, une certaine improvisation s’invitant régulièrement dans leur déroulement. Le leitmotiv de l’épreuve : offrir la possibilité à des professionnels et des amateurs de sports mécaniques de « se mettre minable » dans un défi humain – couplé à la machine – absolument hors normes.

Rançon de la gloire, l’épreuve suscitant de plus en plus l’intérêt, du côté du show-business notamment, sa couverture médiatique devient grandissante et la réaction en chaîne implacable : le Paris-Dakar s’organise, se rationalise même, jusqu’à devenir une efficace machine à spectacle. Les plus grands constructeurs y perçoivent alors un incroyable levier de promotion, du niveau de la Formule 1 ou des 24 Heures du Mans. Porsche et Peugeot sont à ce jeu de probants exemples. Au début des années 80, on voit ainsi la firme allemande déployer une armada d’avions, d’hélicoptères et de camions pour assister au mieux ses équipages. Quelques temps après, c’est la marque française qui se distingue en engageant des pointures du rallye mondial, les finlandais Juha Kankkunen et Ari Vatanen. De fait, le Dakar entre dans une sphère nouvelle. L’enjeu n’est plus seulement individuel et relié à la notion de plaisir. Il dépasse désormais le cadre de la course en influant sur la réussite de grands groupes.

À la fin de cette décennie 80, c’est en définitive le postulat fondateur du Paris-Dakar qui s’évanouit dans les ergs orangés qui lui ont conféré son inénarrable beauté.

Pis, l’épreuve aurait tout simplement pu disparaître en même temps que son instigateur, qui périt tragiquement dans un accident d’hélicoptère, aux côtés du chanteur Daniel Balavoine – fidèle de l’épreuve -, de la journaliste Nathaly Odent, du pilote François-Xavier Bagnoud ainsi que de l’opérateur radiophonique Jean-Paul Le Fur, à l’occasion de l’édition 1986.

TSO (« Thierry Sabine Organisation ») parvient néanmoins à perpétuer l’événement jusqu’en 1994, année où le rallye tombe dans l’escarcelle d’ASO (« Amaury Sport Organisation »), branche événementielle du gigantesque groupe de presse français éponyme. Une prise de contrôle qui va encore un peu plus accentuer la « technicisation » du Paris-Dakar, jusqu’à devenir une « marque » durable et rentable.

Une dénaturation, inéluctable dès qu’une niche se retrouve aspirée par une telle entité, qui atteint son paroxysme en 2008. Les menaces terroristes se faisant, dans les régions sahéliennes, de plus en plus précises à l’endroit des participants depuis le début des années 2000, les organisateurs sont contraints d’interrompre le rallye. Définitivement. Plus aucun bolide du Dakar ne foulera le sol africain. Et les voilà exilés en Amérique du Sud. La logique de « marque » pousse cependant ASO à conserver le nom de « Dakar ». La capitale sénégalaise se retrouve extraite des Atlas pour rejoindre le clan des géants de la boisson énergisante, qui plaquent désormais leurs couleurs criardes sur les bêtes qui fendent les déserts latino-américains et gravissent les lacets andins. L’argument se contenterait d’être trivial si ce type de choix ne donnait pas le sentiment de reléguer le sport au second plan, qui plus est pour une épreuve à ce point incarnée géographiquement. Qui oserait imaginer par exemple que l’on donne un jour le départ du Tour de France cycliste à Doha le temps d’une fusion avec le Tour du Qatar – tous deux gérés par ASO ? Les paris peuvent être lancés…

 

Ce ne serait finalement pas tant le fond mais la forme du Dakar « actuel » qui mériterait d’être remise en cause.

Plusieurs initiatives se sont en ce sens multipliées depuis quelques temps, en vue de revenir aux fondamentaux de la course. Des courses à taille humaine, moins médiatisées, plus soucieuses des répercussions de leur passage ont vu le jour. On pense notamment à l’Africa Eco Race, qui a rassemblé dès sa création en 2009 des « dakaristes » de la première heure – Hubert Auriol ou Jean-Louis Schlesser notamment – pour retrouver les saveurs de l’aventure originelle. Le tout, avec le concours des pays africains lésés par la délocalisation du Paris-Dakar. Car n’en déplaise à Renaud qui s’est élevé contre l’épreuve au début des années 90, cette dernière était loin d’être unanimement perçue par les populations locales comme l’invasive meute mécanisée régulièrement décrite, malgré les tragédies qui sont indubitablement associées à son histoire.

Consciente de ce vide, de cette incompréhension même, l’organisation actuelle du Dakar songerait d’ailleurs à réinvestir le continent africain. L’Algérie pourrait en effet accueillir une épreuve de six jours comptant pour les Dakar Series, à la fin de l’année 2018.

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