Le Mans 66, Spirit of America

Recourir à la course automobile comme objet cinématographique, voilà un exercice des plus périlleux. En 1966, Grand Prix connaissait un certain succès et devenait une référence du genre en ce qu’il mettait alors en scène, en sus des quelques figures des studios de l’époque – Yves Montand, Ève Marie Saint, James Garner, Toshirō Mifune etc. -, les grands noms des paddocks de la Formule 1. Cinq ans plus tard, Steve McQueen, en aspirant à rendre hommage aux bolides qui ont donné un sens à sa vie de tête-brulée dans Le Mans, s’y cassait de son côté les dents, la faute à un scénario aussi creux que le gouffre financier généré par une production extravagante.

En reprenant ce même cadre magique des 24 Heures du Mans, le réalisateur James Mangold – spécialiste des grosses productions – s’est donc exposé au risque du « plantage passionné » avec Le Mans 66, sorti en salle en novembre.

Pour se prémunir de cette issue fatale, ce dernier a vraisemblablement choisi le même parti-pris que son confrère Ron Howard qui, en 2013, décidait de focaliser son film Rush autour du duel épique qui confronta James Hunt à Niki Lauda dans les années 70. Deux pilotes aux tempéraments bien trempés, quoique diamétralement opposés, entre la flamboyance du britannique et la maîtrise chirurgicale de l’autrichien. Les anecdotes, nombreuses et croustillantes – bien servies par un casting solide (Daniel Brühl, Chris Hemsworth, Olivia Wilde etc.) et une bande originale d’Hans Zimmer efficace – ont ainsi permis le façonnement d’un récit convaincant même au sortir des virées enivrantes des monoplaces hurlantes.

Aussi, dans Le Mans 66, Mangold cible un autre grand antagonisme du sport automobile en plantant son décor autour de la joute chaotique que se sont lancés avec véhémence, acharnement, Ford et Ferrari dans les plus prestigieuses épreuves d’endurance des années 60.

 

Il faut dire que les ingrédients de narration ne manquent pas. Cette « guerre » puise en effet son origine dans la tentative infructueuse d’union des deux entités, un temps envisagée au début de la décennie. Ferrari, symbole d’une vision exigeante et élitiste de l’objet automobile, majestueusement incarnée par la figure d’Enzo Ferrari, était alors enclin à se faire absorber par un « gros », afin de cesser de tirer le diable par la queue, tout en continuant à offrir le nec plus ultra à une clientèle triée sur le volet, en plus de triompher sur les circuits du monde entier. Le grossier constructeur de Dearborn, de son côté champion de la voiture « popu » débitée à la chaîne et assoiffé de puissance planétaire, y voit une belle opportunité de faire reluire son blason : le mariage de la carpe et du lapin en somme.

Pour rester dans la métaphore, la scène de la négociation du rachat de Ferrari par Ford, délicieusement romancée dans le film, pourrait s’apparenter à une fable de La Fontaine tant le « puissant sûr de sa force » se fait trivialement humilier par le « petit rusé ». Ce moment constitue en fin de compte le seul où le Commendatore et sa firme sont mis en lumière, tant le film se dirige vers une ode de l’automobile d’outre-Atlantique, autour du duo infatigable et étincelant constitué par Carroll Shelby et Ken Miles – le plus américain des pilotes anglais.

 

En remportant les 24 Heures du Mans 1959 sur Aston Martin DBR1 aux côtés de Roy Salvadori, Carroll Shelby devenait le premier américain à s’imposer dans la folle épreuve mancelle. Comme explicité dans le film, le texan dut remiser son casque au placard au lendemain de cette victoire haletante, la faute à des problèmes cardiaques. Il décida alors de se lancer dans la fabrication de voitures de sport qu’il fit courir via sa propre écurie, l’amenant ainsi à travailler pour Ford. Aujourd’hui, si le constructeur américain use toujours de ce patronyme pour les versions les plus radicales de la Mustang, c’est avant tout pour ses modèles Cobra 427 et 289 que son nom résonne tout particulièrement dans l’univers de l’automobile ancienne. La cote de ces modèles oscille d’ailleurs aujourd’hui autour du million de dollars, expliquant l’engouement pour les versions replica

Si le nom du premier a traversé les décennies en restant affilié à des modèles Ford ou AC bien musclés, voire des créations ex nihilo, toujours très désirés de nos jours, le second est resté quelque peu en marge malgré une forte cote de popularité lors de sa période d’activité et la reconnaissance d’un talent certain par ses pairs. Mais la carrière tardive de Miles, débutée bien après trente ans – il arrive sur ses 47 ans lorsqu’il frôle le graal au Mans -, et son image bourrue loin du glamour attendu pour perdurer dans l’imaginaire collectif l’auront finalement injustement relégué aux oubliettes, sa cruelle deuxième place lors de la fameuse édition 1966 des 24 Heures du Mans achevant de lui confisquer l’aura à laquelle il pouvait prétendre.

Metteur au point redoutable, son perfectionnisme et sa sensibilité de pilote ont largement contribué au développement d’abord laborieux puis couronné de succès, de la Ford GT40, voulue par la mégalomanie d’un dirigeant – Henry Ford Jr. – bien éloigné des contraintes inhérentes au sport automobile.

 

Non sans une pointe de nostalgie, le film s’appuie sur la personnalité entière de Ken Miles pour rappeler la primauté de l’instinct humain dans ce type d’aventure, à une époque où le sport auto n’abordait son virage technologique que très discrètement encore. En ce sens, la séquence illustrant l’échec des ordinateurs des ingénieurs Ford face aux bouts de laine scotchés à même la carrosserie de la GT40 Mk. II par Shelby et son équipe pour déceler les écueils aérodynamique de l’auto, est plus que savoureuse.

Cette humanité, qui atteint finalement son paroxysme lorsque Ken Miles, animé d’un sentiment d’invincibilité dès lors qu’il s’agrippait à un volant, périt tragiquement, au cours d’essais privés du modèle qui devait succéder à la Mk.II, quelques mois après le triplé manceau.

Une des répliques préparée par Superperformance pour le film est mise en vente en janvier prochain par Mecum Auctions (en même temps que la Mustang Fastback que Steve McQueen malmena dans Bullitt – que l’on doit également à Carroll Shelby !). Particulièrement performante avec son V8 8,4 litres de 600 chevaux et esthétiquement fidèle au modèle conduit par Ken Miles et Denny Hulme, son estimation est annoncée autour des 300 000 dollars. Un prix attractif pour approcher ce rêve qui s’échange désormais contre quelques millions d’euros pour un modèle original

Une réflexion sur “Le Mans 66, Spirit of America

Laisser un commentaire