Maradona, monstrueusement divin

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Argentine, anéantie. Naples, prostrée. Amateurs de football, vidés. Voilà ce qu’a pu générer l’annonce de la disparition de Diego Armando Maradona, à l’âge de soixante ans.

Éreinté par la fureur et la frénésie des années 80, le génial argentin en était dans le même temps l’un des plus flamboyants symboles. D’abord dans son style de vie, excessif, exubérant, parfois foutraque, certes. Mais en premier lieu sur le pré vert, ballon collé à ses Puma, lacets enserrant ses chevilles. Sa facilité et sa supériorité intrinsèque, laissaient imaginer que la grâce avait jeté son dévolu sur cette petite carcasse trapue virevoltante.

Une dimension transcendantale qui n’a jamais semblé aussi tangible que durant la Coupe du Monde 1986, à l’occasion notamment du fameux quart de finale réunissant l’Argentine et l’Angleterre, quatre ans après le conflit qui opposa les deux nations dans le sud de l’océan Atlantique. El Pibe de Oro a alors 25 ans et c’est dans la chaleur accablante des hauts plateaux mexicains que le maestro argentin décide de s’offrir le scalpe de la Perfide Albion, consacrant définitivement la légende « maradonesque ».

Pour ce faire, il débute par un tango endiablé qui donne le tournis à chacun des défenseurs britanniques qui tentent vainement de l’approcher, allant jusqu’à effacer Peter Shilton – pourtant solide dernier rempart -, avant de pousser le ballon dans la cage libérée.

Le portier n’en est alors qu’à la moitié de son calvaire, puisque le même Maradona le dupe ensuite dans un duel aérien, malgré la vingtaine de centimètres qui les séparent, bien aidé… de sa main. Une malice passée inaperçue sur le moment par l’arbitre Ali Bennaceur, qui valide alors l’un des buts les plus controversés de l’histoire et qui propulse dans le même temps l’Albiceleste sur la route de son deuxième sacre mondial. De la caresse angélique à la ruse maléfique, il n’y a qu’un pas (trois minutes en vérité).

La « Main de Dieu » comme Maradona lui-même s’est plu à décrire cette action rocambolesque, est encore utilisée aujourd’hui par quelques insatiables technophiles pour justifier du recours à l’arbitrage vidéo, dont le fiasco avéré devrait, espérons-le, bientôt en sonner le glas.

Cette présence électrisante sur les terrains, Maradona l’a naturellement exhalée, cultivée en clubs. Les enceintes les plus chaudes de la planète ont pu – et su – le célébrer ; de la Bombonera chère aux socios de Boca Juniors, au Camp Nou barcelonais, en passant par le San Paolo de Naples, aussi sulfureux que le Vésuve qui le surplombe.

Son passage campanien de près de sept années s’avère d’ailleurs le plus marquant. Il a notamment contribué à hisser vers les sommets italiens (deux championnats en 1987 et 1990 et une coupe en 1987) et européens (Coupe de l’UEFA 1989), un club perçu comme pestiféré par « l’aristocratie » vernaculaire siégeant du côté de Turin (Juventus, Torino), Milan (Milan AC, Inter Milan) ou Rome (AS Roma, Lazio Rome), à une époque où le fossé sociologique entre nord et sud, marque déjà l’Italie jusque dans ses stades.

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Salvatore Bagni, Careca, Ciro Ferrara, Fernando De Napoli… Il convient de préciser que Maradona n’était pas non plus vraiment entouré de peintres pour faire briller le Napoli en cette fin des années 80.

Comme redevable de cette fierté recouvrée, les napolitains se sont dès lors attachés à lui rendre le lot d’émotions que l’argentin avait pu leur procurer. Jusqu’à l’excès là aussi, sa déification dans le golfe napolitain rendant son quotidien insoutenable, au point de le contraindre à vivre cloîtré. Un amour asphyxiant qui vire au surréalisme à l’occasion du Mondial 1990.

Organisé en Italie, l’Argentine se retrouve en demi-finale face au pays hôte et la partie doit se tenir dans la soufrière napolitaine du San Paolo. Un hasard troublant pour Maradona, qui va tourner à l’oppression. En effet, malgré l’enjeu colossal d’une telle rencontre, l’importante frange napolitaine des tifosis sur place se met à supporter l’équipe arborant une tunique rayée blanc et bleu ciel et plus particulièrement son numéro 10. Une situation ubuesque qui atteste du fanatisme entourant la personne de Maradona, qui se chargera tout de même d’éliminer les italiens, en transformant le tir au but de la victoire.

Sa fin de carrière de joueur (à Séville et en Argentine) ainsi que ses performances en tant qu’entraîneur (aux Émirats Arabes Unis et au Mexique) ou sélectionneur (Argentine) ont par la suite vite tourné court, le tout émaillé de déboires personnels en tout genre qui ont pu faire les choux gras des adeptes du sensationnalisme et d’un entourage parfois malintentionné.

Un parcours hors normes, mêlant éblouissements et chaos, qui demeure somme toute celui d’un être humain – ontologiquement faillible – porté par son talent, avant d’être broyé par ceux qui ne pouvaient s’en passer.

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