
Les éditions annuelles du Tour de France et des 24 Heures du Mans ont tenu bon malgré la tournure chaotique de cette année 2020. Deux épreuves hexagonales qui font figure de graal dans leurs disciplines : le cyclisme et le sport automobile. Leur exigence ainsi que leur durée n’ont en effet que peu d’équivalents et leur passé, séculaire, leur confère naturellement une résonance toute singulière. Une grande histoire qui a été façonnée par une multitude de sportifs au destin plus ou moins glorieux, néanmoins toujours valeureux.
Si un palmarès éloquent reste un préalable incontestable pour passer à la postérité, un supplément d’âme semble requis pour buriner durablement son nom dans les annales de son sport. En ce sens, incarner avec pureté une dimension particulière de la discipline en question pourrait embrasser cette subjectivité.
Fort de ce postulat, comment résister à l’envie de réunir deux sommités du sport belge dont la polyvalence et la détermination ont été le trait d’union d’un règne ostensible dans leurs univers respectifs : Eddy Merckx, en cyclisme et Jacky Ickx, en sport automobile. Deux grands amis – qui fêtent cette année leurs 75 ans – qui partagent de très nombreuses similitudes jusqu’à la rythmique de leur patronyme.
À l’ère de la spécialisation à outrance, de l’expertise érigée comme vertu ultime, on tend à oublier qu’un sportif – sur roues plus spécifiquement – se plaît d’abord à approcher toutes les disciplines se rapportant peu ou prou à son engin de prédilection, moteur de sa passion. Ce que ne manquèrent pas de faire les deux protagonistes. L’un accumulant des victoires en cyclo-cross et même des records sur piste en marge de ses triomphes sur route. L’autre en ayant goûté au succès sur chacune des machines à quatre roues motorisées – après s’être initié plus jeune à la moto – qui pouvaient lui passer entre les mains, dans des champs aussi divers que la Formule 1, l’endurance ou le rallye-raid.
- Tour de France 1969 : pour sa première participation à la « Grande Boucle », Eddy Merckx réalise d’époustouflantes performances. Retenons plus particulièrement celle de la 17ème étape au cours de laquelle il dépose littéralement son coéquipier Martin Van Den Bossche en haut du col du Tourmalet avant de creuser un écart de six minutes sur ses poursuivants jusqu’à son arrivée à Mourenx
- Mexico City, octobre 1972 : Eddy Merckx bat le record de distance sur une heure, en frôlant les 50 km parcourus. Un record toujours détenu par un belge, en la personne de Victor Campenaerts, qui l’a porté à plus de 55 km en avril 2019
- Une solide amitié lie les deux sportifs. Une exposition bruxelloise n’a d’ailleurs pas manqué de sceller ce lien en unissant leurs destins, à l’occasion de leurs 70 ans, en 2015
- Rôles inversés ici, Ickx enfourchant un cycle et Merckx prenant le volant d’une Ferrari 365 GT 2+2
- À une époque ou les drames émaillaient bien trop régulièrement les courses automobiles, Jacky Ickx frôla plusieurs fois ce funeste destin, comme ici sur le circuit de Jarama, lors du Grand Prix d’Espagne 1970. Percuté par la BRM de son partenaire en endurance Jackie Oliver, la Ferrari 312 B du bruxellois se transforme instantanément en un gigantesque brasier. Au terme d’un combat interminable avec son harnais, il parvient finalement à s’extraire de cet enfer. Sérieusement brûlé, on le retrouvera quand même sur la grille de départ du Grand Prix de Monaco trois semaines plus tard…!
- Jacky Ickx et Claude Brasseur ont bourlingué sur les routes africaines tout au long des années 80. On retrouve ici le duo au départ de l’édition 1981 du Paris-Dakar aux abords de leur impressionnante Citroën CX GTI

Le Paris-Dakar reste pour Jacky Ickx le chapitre le plus marquant de sa longue carrière. Témoin de la première heure de ce qu’il aime à appeler « les années Sabine« , il démontra dans la majesté des paysages africains, le panache et l’adaptabilité qui a fait sa grandeur, au volant d’engins aussi différents que des Citroën (CX puis ZX), Porsche (959), Mercedes-Benz (Classe G) et Toyota (Land Cruiser), pour son unique expérience en solitaire en 1995
Pour autant, l’étiquetage, toujours plus aisé pour circonscrire des décennies de carrière, s’est au fil du temps rappelé à l’histoire des deux compatriotes. Leurs plus belles performances, sur le Tour de France pour Merckx (cinq victoires) et aux 24 Heures du Mans pour Ickx (six victoires), tendant finalement à éluder un peu trop trivialement les nombreuses classiques et titres mondiaux glanés par le premier, ainsi que les débuts flamboyants en monoplace et les aventures grandioses au Paris-Dakar notamment du second.
Car c’est en définitive bien au travers d’une appréhension globale de leur carrière que l’on touche le mieux du doigt leur légende, forgée à la lumière d’une maîtrise absolument complète de leur art. Une ampleur « vitruvienne » résumée par ceux qui les ont « pratiqués » :



Les deux hommes réunis avec leurs machines favorites. Jacky Ickx se tient dans le cockpit de la Porsche 936 avec laquelle il a remporté les 24 Heures du Mans 1977 (en compagnie de Jürgen Barth et Hurley Haywood), réalisant alors une performance individuelle hors norme. Bien qu’il ait suffisamment insisté sur la dimension collective d’une telle victoire en rappelant notamment que « Les palmarès se construisent sur la passion (…) partagée dans un écurie », il puisa cette fois-là au plus loin de ses capacités en avalant quasiment seul la nuit mancelle (il couvrit quatorze heures de la course !). Une victoire herculéenne qui n’est pas sans rappeler celle de 1969 qui, au terme d’un duel épique avec Hans Herrmann sur 908, vit le belge et son coéquipier Jackie Oliver, sur Ford GT40, remporter la plus disputée des victoires au Mans de l’Histoire (120 mètres d’écart entre le premier et le deuxième !) ; le tout après être parti en dernier position, Ickx ayant à sa manière entendu manifester son opposition au départ « type Le Mans ».





